Vers l’âge de 13 ans, j’ai commencé à dire à mon entourage que je voulais devenir journaliste. Au début, il s’agissait d’une passion pour le monde, plus que pour l’information. Un désir de dire ce que j’observais des autres, de nos passions, des phénomènes animant le présent.
Depuis l’enfance, les mots occupent mon esprit, animent ma main et rythment mon geste de création.
Journaliste de presse alors devint mon objectif, ma vocation, mon mantra pour l’avenir.
Me refusant au conformisme des écoles, je décidai de me former de manière libre à l’université. Je me suis demandé : Qu’est ce qui fait un.e journaliste ? Plusieurs réponses se sont présentées à moi mais trois éléments me guident encore aujourd’hui : l’éthique, la recherche et la présence sur le terrain.
Depuis le mois de mars 2020, je suis de retour dans mon pays de naissance, la France, cher nation colonisatrice, à l’héritage raciste et aux codes sexistes, à l’idéologie néo-libérale et aux traditions élitistes. Ainsi, je dois avouer une vérité : observer la France en 2020, c’est regarder un peuple divisé, un gouvernement qui ignore ses responsabilités sociales et qui passe son temps à nous enfler par derrière, à prendre des décisions contradictoires, à voter des mesures violentes pour la démocratie déjà fragile et à s’exprimer d’une voix sous-tendue d’hypocrisie que nous connaissons bien car elle gangrène nos familles et notre éducation.
Afin de conserver ma liberté de pensée, je décide de m’orienter vers la recherche, de focaliser ma formation sur l’apprentissage de compétences qui resteront la base de ma pratique de journaliste sans savoir vraiment comment rentrer dans ce monde ni comment avancer sans le statut officiel.
Je dois me rendre à l’évidence : je suis autodidacte et ce, dans tout ce que je fais. Autrice, artiste, journaliste, avant tout libre. Féministe aussi, féministe jusque dans la substance de ma plume, jusque dans les mots qui font trembler ma voix lorsque je parle de nous, les femmes.
Évoluant dans le monde de la recherche académique, plongée dans un mémoire grâce auquel j’apprends à soulever des défis, à concrétiser ma pensée, je me mets à écrire pour moi des textes forts, des textes d’opinion qui parlent des femmes, de nos conditions de vie, de nos projets, de nos arts, de nos passés et de nos futurs.
Après avoir écrit gratuitement pour un média dit féminin sous un format que je qualifierai aujourd’hui d’exploitation, je décide de créer ma plateforme médiatique.
C’est à ce moment-là que je suis devenue journaliste, lorsque j’ai décidé d’écrire selon les règles de l’art, d’aller plus loin dans la démarche d’interview, de faire des recherches plus approfondies avec un but précis : informer, donner de quoi mâcher aux lectrices et lecteurs, leur parler de ce qui se passe derrière les grands rideaux du mainstream, poser des questions, approfondir des réflexions, transmettre le savoir et ouvrir des portes.
Le journalisme, tel que je le conçoit aujourd’hui, ce sont aussi des rencontres, des regards croisés sur le monde, des paroles transmises et des voix écoutées. Être journaliste c’est savoir se taire et savoir parler quand il le faut, c’est être à l’écoute du monde, l’observer et le digérer selon ses propres capacités.
Ces derniers temps, j’ai perdu ma flamme de journaliste. J’ai perdu confiance en moi, en ma légitimité à être un canal pour les autres. Peut-être cela est-il arrivé en même temps que je me suis perdue en moi-même dans mes douleurs, dans mes chemins sans issue qu’il était temps d’emprunter pour voir un peu les choses autrement.
Être journaliste par les temps qui courent n’est pas facile, c’est enjeu de société, c’est une manière de dire « je veux participer au monde, à l’effort collectif ». Mais je me pose beaucoup de questions, je me demande comment le faire depuis mon positionnement. À partir de quel point suis-je en train d’écrire ? Quels sont les besoins d’informations ? Comment puis-je activement faire partie de la discussion sans mettre le focus sur moi ?
Parler des femmes oui, c’est une chose, mais parler de toutes les femmes en est une autre. Il est question, je crois de prendre le temps d’observer avant de s’exprimer. C’est ce que j’essaie de faire, mais j’ai besoin de plus de temps encore pour ne pas m’embourber dans des luttes sans issue, pour ne pas faire l’erreur de m’exprimer à la place des autres. Trouver sa place oui… telle est la question.
Alors, comment faire ? comment continuer ?
J’aime passionnément ce métier mais je suis perdue comme beaucoup d’entre nous dans le flot de surinformation dans lequel nous sommes plongés. J’ai du mal à faire le tri, du mal à me mettre concrètement à écrire sur des thèmes qui me sont éloignés.
J’écris quand même, je prends la plume pour poser des pensées, des réflexions, des idées. Mais je m’éloigne du journalisme en tant que tel. Est-ce un mal ? Je ne crois pas. D’autres le font mieux que moi, c’est certain. Je n’abandonne pas pour autant la pratique du journalisme mais je prends du recul. Un recul nécessaire à la compréhension profonde de cette méthode de travail qui implique de se détacher de soi, chose que je ne parviens plus vraiment à faire ces derniers mois.
Je vois mes sœurs et mes frères queer dépasser des épreuves, les personnes noires, asiatiques, métisses et racisées dans leur ensemble se battre pour leurs droits, pour la reconnaissance de leurs existences respectives, de leur réussites et de leur histoire sans relâche, je vois mes sœurs, toutes les femmes, dans les rues, coller des messages pour parler de nous, de nos luttes et des faits concrets qui habillent nos existences de deuils et de souffrances… Je vois tout ça et pourtant je n’écris plus.
Je vois tout ça, le cœur brisé et je ne parviens plus à faire ce métier qui m’a tant animé. Pourquoi ?
Quelques pistes me permettent de répondre à cette question épineuse : la difficulté à articuler mes pensées chaotiques, ma confusion face aux solutions proposées, mon dégoût du monde des médias traditionnels qui peine encore à mettre de l’avant les problématiques de déconstruction proposées par différents mouvement de lutte anti-racistes, anti-sexistes et anti-LGBTQphobies.
Ces derniers mois, j’ai travaillé d’arrache-pied en tant qu’autrice pour gagner de l’argent. Pour la première fois de ma vie, je suis véritablement payée pour écrire, pour aider des artistes à arriver à leurs but par l’arrangement de leurs idées via les mots. J’en suis fière mais je dois avouer qu’écrire sur le monde me manque, seulement, je ne sais pas par ou commencer, je ne trouve plus la force en moi de parler de viol, de racisme, de haine.
C’est un abus de faiblesse que je fais aujourd’hui. Une manière d’éclairer la réalité d’un métier difficile qui demande une force incroyable, un désir toujours inassouvi de vérité, un élan puissant de dire ce que l’on voit, de faire parler ce que l’on sait.
Ce texte est une lettre ouverte comme une confession intime, une voie, un moyen de dire l’espoir résidant en moi d’y arriver à nouveau un jour bientôt, à faire ce métier qui m’a passionné et animé pendant toutes ces années.
Bien à vous, Alizée Pichot