TW – Viol, violences sexuelles
Cher.es vous,
Si je vous écris aujourd’hui c’est que je suis consciente de votre mal-être et des étapes fastidieuses à passer pour dépasser les souffrances que les viols ont implanté en vous. Je suis consciente des cauchemars, des nuits suantes, des pensées qui déroutent, de celles qui enflamment, les pensées qui blessent, la honte, l’oubli, la peur… je suis moi aussi passé.e par là et je reconnais désormais le chemin parcouru pour en arriver là : retrouver un plaisir au désir, un désir sans peur, une envie d’aller vers l’autre qui n’est pas entravée par la crainte, l’horreur, de se faire harceler, agresser, violer, une énième fois.
Je ne ne sais pas exactement ce qui m’a permis de sortir la tête de l’eau mais certainement que plusieurs éléments m’ont aidée à me reconnaître comme quelqu’un de marqué par ces événements et en conséquence pas tout à fait dans la même mesure de faire les choses comme les autres. Je crois que ce qui nous empêche de reconnaître cela c’est qu’une femmeée sur trois est victime de viol et que ce chiffre exorbitant peut parfois nous mener à invalider notre vécu puisqu’il est si commun…
Ce que j’ai envie de faire ici, c’est une ôde à la sexualité des personnes violées, un message d’amour pour nous et pour nos vies sexuelles qui sont impactées en profondeur par la violence sexuelle, quelle qu’elle soit.
Je me suis faite violé.e la première fois à 22 ans. Il était plus vieux que moi mais pas forcément plus expérimenté. C’était un homme religieux aux valeurs strictes. Je lui ai dit que j’aimais les femmes et je crois – j’en suis sûr.e- il a voulu se venger de ma promiscuité. La deuxième fois que je me suis faite violé.e, j’avais 24 ans. Il était dominant et j’étais dominé. J’ai dit non et il a continué. La troisième fois que je me suis faite violé.e, c’était par un ami. Il n’a pas pu supporter mon refus et a glissé sa main dans mon pantalon, de force. Je serais aussi tenté.e de dire agression sexuelle mais je l’ai vécu comme un viol tant la coercition dont il a fait preuve m’a blessé. (de ce viol je retiens un déni encore plus fort que les autres puisque je ne parviens pas à affirmer face à cet homme qu’il m’a agressé – puisqu’il le nie). La quatrième fois que je me suis faite violé.e, c’était à Marseille, en octobre 2022 sous les toîts d’un immeuble près du palais de justice. Il savait que c’était non, il m’a sauté dessus, m’a violé.e. Je lui en ai parlé, comme tous les autres, il a nié.
Je ne peux pas enlever les viols que j’ai subi, ils sont dans mon corps, dans ma tête, dans mon cœur. Ils sont ce que j’ai de plus proche avec la sexualité en ce moment puisque mon dernier rapport sexuel était un viol pénétratif.
Après des viols, nous sommes brisé.es. Il n’y a pas tant de mots pour décrire à quel point les viols détruisent. Il faut le dire comme c’est : ce sont nos psychés, nos réflexes physiques et émotionnels, nos souvenirs qui en sont modifiés. Les rapports sexuels en sont abimés car la peur d’être violé à nouveau ressurgit. La peur d’avoir mal ou tout bonnement des douleurs fantômes apparaissent. Le pire selon moi, ce sont les images qui reviennent. J’aimerai pouvoir vous dire qu’il y a une magie qui pourrait faire disparaître tous les stigmates du viol chez les victimes, qu’elles aient vécu des viols récemment ou pas ; il n’y en a pas, nous souffrons, de manière plus ou moins régulière, jusqu’à ce que ça aille mieux.
Les premiers mois, voires les premières années après les viols, il est parfois impossible de recouvrer une sexualité normale. En effet, les effets du stress post-traumatique sur le corps et l’esprit sont nombreux. Nous pouvons réagir de manière exponentielle aux moindre rappel de l’évènement traumatique, une odeur, un geste, une image, un mot. Dans le cas de la violence sexuelle, cela se manifeste aussi par des douleurs pelvienne et de la tachycardie, que nous nous trouvions dans un contexte de sexualité ou non. Il y a des solutions à cela, même si elles ne sont pas nombreuses et qu’elles ne sont pas toujours accessibles. La thérapie en est une, l’EMDR fonctionne bien pour les victimes de viols afin qu’iels se sentent enfin en sécurité lorsqu’iels pensent au fait. Mais dans le cas où les victimes n’auraient pas les moyens de se rendre à un rendez-vous chez le thérapeuthe à 80 euros la séance, il est aussi possible de parler à des pairs, à des victimes elles-mêmes remises, il est aussi possible d’écrire, de verbaliser à voix haute ( seul.e dans sa douche), de méditer sur la douleur, sur le vide, sur la violence. Malheureusement, un des aspects les plus destructeurs pour les victimes de viols est l’isolement. Pour ma part, j’en suis sortie quelques années après mon premier viol. Je me trouvais à une lecture de poésie dans une librairie féministe à Montréal. Après ma participation à la séance de questions à l’autrice, une femme d’une trentaine d’année est venue se présenter à moi. Elle m’a dit “ moi aussi je me suis fait violée, plusieurs fois” puis elle m’a invité.e chez elle avec sa fille d’une dizaine d’années pour diner et parler. Je n’ai que peu de mots pour exprimer la gratitude que je ressens à l’égard de cette femme qui a ouvert les portes de guérison en moi. A partir de ce moment-là, j’ai commencé à parler de mes viols comme des faits et pas de moi comme une victime. Parler des agresseurs, accepter l’évènement comme faisant partie intégrante de mon vécu. C’est très facile à dire mais je le dis pour mettre l’accent sur le fait que ce n’est pas toujours les psys ou les thérapeuthes qui nous aident à avancer mais bien les autres victimes, les femmes et toutes les personnes ayant vécu des violences sexuelles au cours de leur vie.
Mon point est alors le suivant : si dans votre sexualité post-viol vous éprouvez des difficultés, il est possible d’en parler, il existe dans ce monde des interlocteurs pour vous aider à panser les plaies ouvertes que les viols ont laissé béantes. Une des solutions est d’en discuter avec vos partenaires sexuels si vous en avez mais aussi d’en parler à vos ami.es. On a souvent peur de parler de sexualité et de viols mais il est essentiel d’ouvrir la parole sur le sujet et de ne plus craindre le jugement des autres à ce propos. Je sais à quel point il est compliqué d’ouvrir son coeur en parlant d’à quel point il est difficile de revenir à une sexualité épanouie mais je sais aussi à quel point il est dévastateur de rester dans ce silence.
Parlons donc du coeur du sujet, de ce qui fait que le rapport à la sexualité post-viol est difficile voire impossible, puisque de nombreuxses victimes de viols s’éloignent tout simplement de toute forme de sexualité afin de se protéger des violences et de souffrances supplémentaires. Puisque nous avons peur du viol à nouveau, peurt du geste qui dérape, peur du baiser qui s’accroche trop, peur de la main qui serre là où il ne faut pas, peur du mot qui fait hurler le coeur à l’intérieur de la poitrine… nous avons peur que ça recommence. N’oublions pas que les viols sont des tentatives d’annihilation, des tentatives de meurtres psychiques, des armes de guerres, les traces que les violeurs laissent sur nos sexes, nos corps et nos esprits sont indélébiles. On oublie pas un viol. Demandez à toutes les personnes violées du monde, elles sont capables de vous de vous dire en un regard ce qui les a tué. C’est le regard des violeur.ses sur nous qui blesse et qui transperce et c’est ce regard que nous fuyons. Combien de victimes n’osent plus s’habiller sexy de peur de réveiller les pulsions d’agresseurs en puissances qui trainent dans les bars et dans les rues ? Combien de personnes violées refusent des positions sexuelles de peur de revoir le viol, de revivre le viol ? Combien de personnes violées sont malades physiquement pendant des semaines après les faits, puis chaque année à l’anniversaire de leur viol ?
Je pourrais accumuler les exemples alternant les conséquences des viols sur la vie de tous les jours et celles sur la sexualité des personnes violées mais je crois que j’ai envie de vous parler de ce qui est beau dans le reste, dans la suite du chemin, nous l’espérons, sans viol.
En mars 2023, lorsque j’ai réalisé l’ampleur des dégats que les viols avaient eu sur mon psyché, sur mon corps et sur ma manière de voir les choses ( je ne suis pas encore guérie), j’ai aussi décidé, d’une manière certes un peu arbitraire, que je ne me mettrais plus jamais dans une situation à risque afin d’éviter au maximum les viols. Bien évidemment, nous savons qu’il est impossible de fuir tous les viols puisque certain.es violeur.ses sont plus fort que nous mais en tout cas, me renforcer et les comprendre au maximum. Cette réflexion m’a aussi amené à faire le bilan sur ma sexualité, l’absence de ou la force de. A ce moment-là de ma vie, j’étais hospitalisé.e en psychiatrie et je sentais déjà ma sexualité revenir. Revenir oui mais comment ? Je sentais un désir monter, un désir pour personne en particulier mais un désir. Tout autant que je le sentais, je ne me sentais pas bien en lui, il était comme celui qui m’amenait il y a quelques années à pratiquer le sexe pour le sexe. Je soutiens fortement l’idée que chacun.e est libre de sa sexualité et d’en faire ce qu’iel veut, que ce soit du sexe sans lendemain ou du sexe avec une proximité plus importante. Mais moi, à ce moment-là, je ne pouvais pas. Est arrivé donc, cet instant où je me suis retrouvée à moitié nu.e avec un patient de l’hôpital, lui aussi dans la même position. Nous nous sommes embrassé.es puis nous avons parlé du viol. La sexualité entre nous s’est arrêtée là mais ça m’a fait un bien fou de pouvoir en parler avec lui et de ne pas précipiter mon retour à la sexualité.
Un des autres aspects qui peut poser problème pour les victimes de viol, c’est la masturbation. Malheureusement, tristement, tragiquement, ce moment sacré dédié au plaisir en solitaire est gaché et souvent douloureusement ancré dans la mémoire traumatique. Il m’est arrivé, et ce pendant plusieurs années, de pleurer, de hurler, de me rouler en boule de souffrance en essayant de me faire du bien. Les images revenaient, les sensations, tout un tas de souvenirs liés aux viols venaient perturber les caresses que je tentais de me donner. Encore une fois, les solutions ne sont pas évidentes mais le temps aide beaucoup. Pour ma part, une des choses que j’ai trouvé pour me sauver de cette horreur est une sexualité plus spirituelle où le plaisir n’est pas autant sexuel mais il s’épanouit dans la respiration, dans l’amour de soi sur toutes les parties du corps, il est détaché du fantasme visuel ( puisque pour moi la pornographie rappelait les viols), il s’ancre sur une volonté de faire s’ouvrir l’énergie sexuelle et la diffusion en et autour de nous afin qu’elle s’y dépose et nous remplisse de chaleur et de lumière. La sexualité tantrique est une des solutions proposées aux personnes violées pour retrouver une sexualité épanouie puisqu’elle annonce dès le départ la couleur : l’amour est la clé de la guérison, ce sont par des intentions d’amour que nous pouvons retrouver la paix à l’intérieur. Une autre des pistes pouvant aider pour la masturbation est l’utilisation de jouets dédiés. Pour les possesseurs de clitoris, il existe des jouets qui évitent la pénétration et qui permettent à l’utilisatrice de se concentrer sur son plaisir en évitant les images intrusives. Tous les autres jouets sont bons à prendre pour se réapproprier sa sexualité, qu’elle soit hétéro, queer ou exclusivement solitaire.
Un des autres moyens qui existent pour s’épargner des moments de souffrance liés à la sexualité est tout simplement de ne pas faire l’amour. Ce n’est ni positif ni négatif, c’est un fait. Pour beaucoup d’entre nous, pendant de longues périodes, la solitude et l’abstinence font légion mais, attention, elle n’est pas obligatoire. Il est aussi possible d’approcher la sexualité par les mots par exemple, de parler de ce que nous aimons dans la sexualité avec des partenaires attentionnés peut parfois suffire, lire des histoires érotiques sur internet, en écrire pour certain.es, en rêver pour d’autres. Ce temps dédié au sexe non sexuel peut être le temps nécessaire à la reconstruction.
Je souhaite terminer cet article par une note positive en affirmant qu’il est possible de retrouver une sexualité libre et épanouie post-viol. Il est possible de retrouver son désir sans peur, d’aller vers l’autre et de se laisser approcher sans craindre constamment que le viol arrivera à nouveau. Il est aussi possible que de nouveaux fantasmes se forment et que de nouvelles attirances se formulent. La libido est une énergie fluctuante et les personnes violées vivent souvent des variations liées aux moments de réminiscence et de fragilité liés à la mémoire traumatique. Pas d’inquiétude, celles-ci ne sont pas définitives et l’envie de sexe et l’envie de partager revient. Il est très important de trouver des interlocuteurices pour parler des viols et de sexualité, de perte ou de manque de désir, de pouvoir communiquer sainement avec nos partenaires afin de pouvoir vivre sainement notre sexualité. Aussi, et enfin, dans le cas des personnes ayant vécu des viols dans des relations hétérosexuels, sortir de l’hétérosexualité normative en prenant le temps de nouer des relations avec des personnes aidantes platoniques, romantiques et amicales peut être un mode de soin révolutionnaire. Ensemble, à la recherche du plaisir après la mort, nous pouvons revenir vers nous-mêmes, nous sommes capables de briller à nouveau dans la tendresse, dans la douceur, dans le plaisir liquide d’une peau sur la notre, sans plus jamais regarder en arrière.
Le chemin vers la révolution du plaisir post-viol est long mais il vaut la peine car la sexualité, pour celleux qui désirent la pratiquer, est une partie de la vie humaine pleine d’amour et de joie. Croyez-y et j’y croirais deux fois plus pour vous.
Love et à bas le patriarcat!
Alizée