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Le solo-polyamour : c’est quoi, c’est comment ?

France, le 27 janvier 2021. Dans une bulle de vie.

Depuis que j’ai commencé ma vie amoureuse et avec elle les relations sexuelles, je n’ai jamais rencontré à proprement parler la monogamie. On peut parler d’une exception avec ma première relation à 16 ans qui a duré un mois et demi, mais je ne suis pas sûre qu’elle puisse servir d’exemple.

Alors, si je ne fus jamais monogame, que fus-je ? Qui suis-je et quelles sont les alternatives ?

Aujourd’hui je souhaite parler de polyamour certes, mais pas seulement. Je souhaite aborder une manière particulière de vivre sa vie et d’aimer librement : le solo-polyamour.

C’est une notion abondamment documentée sur des sites web anglophones mais peu de ressources en français existent sur le sujet et encore moins d’un point de vue féministe. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de m’y pencher et d’en parler ouvertement parce que c’est la manière dont j’essaie de vivre ma vie depuis plusieurs années.

Voici ma traduction personnelle de la définition de ce qu’est le solo-polyamour sur le site américain Solo Poly :

Solo polyamour: Le polyamour est, de manière large, une approche des relations (ou du désir des relations) qui est éthiquement non-exclusive, impliquant le sexe, la romance et/ou une profonde intimité émotionnelle. Ce qui distingue les personnes solo-polyamoureuses est que souvent, nos relations n’impliquent pas de partenaire principal (ou ne se dirigent pas vers cette définition de la relation), ni de désir de fusionner sa vie ou son identité avec celle de quelqu’un d’autre comme le dessine l’escalator traditionnel des relations intimes. Par exemple, ces personnes partagent rarement leur lieu de vie ou leurs finances avec leurs partenaires. Dans le même sens, il est rare que les personnes solo-poly s’identifient fortement comme faisant partie d’un couple (ou une triade etc.) : iels préfèrent naviguer dans la vie comme eux-mêmes en tant qu’individus.

D’abord, situons le propos et rappelons-nous que chaque expérience est différence, chaque personne a sa vie, sa vision pour elle-même, ses désirs et ses blessures.

Je suis une femme blanche, de 27 ans, célibataire et pansexuelle. Au cours de ma jeune vie, je n’ai jamais promis ma vie ni ma fidélité à quiconque et pourtant j’ai aimé, beaucoup, des femmes et des hommes. Aussi, je me suis engagée envers des personnes, engagée à les aimer et à les respecter, engagée à être transparente sur mes désirs et sur mes actes.

Cet engagement vis-à-vis de l’autre est très important pour moi lorsque je décide d’entrer dans une relation mais à aucun moment il ne doit dépasser l’engagement que j’ai envers moi-même et qui pourrait se résumer à ceci : je souhaite rester libre, dans mes émotions, dans mon corps et dans mes mouvements. Je souhaite n’appartenir à personne et ne demande à personne de me jurer fidélité. Je souhaite aimer dans la bienveillance et le rester, je souhaite vivre mes relations amoureuses et sexuelles hors du cadre de l’hétéronormativité et des construction de vie traditionnelles soit : rencontre, emménagement, mariage, bébé, retraite, mort.

Si je suis célibataire et en voie vers une redéfinition de ce que cela signifie pour moi aujourd’hui, ça n’a pas toujours été le cas. Jusqu’à il y a peu, j’étais dans un couple dit « ouvert » pratiquant ce que je croyais être de mon côté le polyamour. Cette relation avec le recul s’est révélée déséquilibrée et abîmée par un manque de transparence et un désalignement des valeurs et des désirs de partage de nos vécus et de nos expériences de vie mais elle fut belle, pleine d’amour et importante dans ma compréhension de l’évolution de mes valeurs profondes. Je n’ai aucun regret.

Dans une configuration de vie dans laquelle être polyamoureuse est accepté et embrassé alors la question du célibat se transforme : Que se passe-t-il lorsque je rencontre quelqu’un qui me plaît, avec qui j’ai envie de vivre quelque chose, sentimentalement ou sexuellement ? Me considérai-je toujours comme célibataire ou autrement ? Est-ce important pour moi de définir un quelconque statut ou préférais-je rester libre de toute forme d’étiquette ?

Ces questions ont le don de nous rendre confus et de tout mélanger. C’est normal.

Mais ce qui est clair, c’est ce que nous voulons. C’est tout un travail de savoir ce qui nous va et souvent, vous en conviendrez, il n’y a que l’expérience qui nous permet de distinguer ce que nous voulons et ce que nous ne voulons pas. Pour certain.es, le « ce que je ne veux pas » vient avant le reste, c’est légitime et c’est un bon point de départ pour commencer cette liste de désirs ou de limites personnelles qui nous aideront à expliciter clairement à nos partenaires l’espace dans lequel les relations peuvent se développer.

S’il y a bien une chose à comprendre à propos de ce que la majorité nomme le polyamour, c’est qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière de le vivre. Il n’y a pas qu’une seule vision des choses si qu’une seule configuration. À chaque relation ses modalités et à chaque individu ses limites ou ses règles. C’est lorsque viennent les rencontres que les choses se complexifient.

Parce que dans le solo-polyamour, nous sommes seul.e.s avant d’être à deux ou à trois, et c’est bien sur ce point-là qu’il s’agira d’être clair. Cette essentialité de la relation à soi-même peut s’exprimer de diverses manières. Mais dans tous les cas, il s’agit d’un contrat d’amour avec soi-même qui s’étendra à autrui si et si seulement les partenaires s’entendent sur l’espace dont iels ont besoin pour être heureux et sur les visions de chacun quant à l’évolution des relations.

Je parlais au début de ce texte du point de vue féministe mais je veux rajouter que le point de vue à partir duquel je m’exprime est aussi celui d’une femme. Et qu’en tant que femme, je souhaite ardemment sortir du système codé et genré que le patriarcat a mis en place depuis des siècles. En d’autres termes, je souhaite sortir (et pas seulement à cause de la pansexualité) d’une hétérosexualité normative. Par ce choix de m’identifier en couple avec personne d’autre que moi-même, je tourne une page sur le modèle du couple traditionnel qui voudrait faire de moi une mère et une épouse.

Je respecte toutes les femmes et leurs choix et ce malgré mes convictions. Ce fut un long chemin (et le chemin n’est pas terminé) que d’assumer mes désirs, ma sexualité mais surtout mon mode de vie. Je me demande en écrivant ces lignes si les premières femmes à avoir décidé de vivre librement et sans contrainte de statuts dans leurs relations (uniques ou multiples) se sont inspirées des hommes de leur temps qui avaient quant à eux une liberté de mouvement et de choix exponentiellement plus grande que les carcans qui tenaient (et tiennent encore) les individus de genre féminin bien à leur place. Cette question en entraine une autre : cette liberté, acquise par les hommes par nature selon le patriarcat est-elle la même pour les femmes ?

La réponse se doit d’être nuancée et observée au travers d’une lentille féministe (et oui, encore et toujours) : oui et non. En fait, parce que nous vivons dans des sociétés qui projettent sur les femmes tout un tas d’injonctions, les femmes doivent sans cesse se justifier de vivre leur vie. Si elles sont seules, on leur demande pourquoi. Si elles sont à deux avec un homme, on leur demande quand elle auront des enfants. Si elles ne se « posent pas » en couple et « papillonnent » (selon un regard extérieur), on leur demande de quoi elles ont peur. Si elles ne veulent pas avoir d’enfant, on leur dit que ce sera trop tard après quand elles changeront d’avis.

À mes yeux, toutes ces injonctions sont des grosses conneries basées sur le mythe de la-femme (cf. Monique Wittig et La pensée Straight) et malgré toute la bonne volonté du monde à ne pas les écouter, elles nous pèsent.

Les hommes aussi sont soumis à des pressions dans le cadre du patriarcat. Je ne souhaite pas minimiser ce point mais je ne souhaite pas non plus dépenser toute mon énergie à les rassurer ni à les éduquer. Je souhaite voir un monde dans lequel les hommes se guérissent par eux-mêmes, décident, par leur propre volonté de déconstruire les briques qui font parfois de leurs vies des enfers, sans émotions et sans vraie joie. Par ce chemin de vie de louve solitaire, j’ai l’occasion souvent de rencontrer ces hommes sauvages qui me rappellent que ce monde est possible, qu’il existe bel et bien en filigrane de celui qui continue de nous oppresser.

Pour finir, je voudrais préciser un point majeur, essentiel, je dirais même plus une méprise : beaucoup pensent que dans les relations polyamoureuses où l’un.e des partenaires est solo-polyamoureux, il est impossible de construire quoi que ce soit, ni d’avancer ensemble. Selon moi, c’est faux. Seulement, les manières d’évoluer ensemble sont à définir en dehors des cadres « normaux ». Le polyamour exige d’avoir de l’imagination et d’accepter d’aimer avec beaucoup d’espoir. Être en relation avec une personne qui décide d’être son premier amour c’est aussi apprendre à s’aimer soi d’abord, à s’accepter dans ses failles, dans ses possibilités de jalousie et de les régler en étant bienveillant avec soi. C’est aussi ne pas chercher le bonheur à travers l’autre mais partager la joie et le reste avec. Être en relation avec des femmes solo-polyamoureuses, c’est s’incliner souvent devant leur force et leur détermination à rester indépendantes et à grandir par et pour elles-mêmes en grandissant chaque jour. Quelque soit notre orientation sexuelle ou notre genre, quelques soient les formes que les combinaisons relationnelles peuvent prendre, il importe avant tout de ne pas oublier la prémisse : l’amour partagé, les relations amoureuses, sexuelles ou intimes sont protéiformes et ouvrent un monde de possibilités à condition – et seulement à condition – que l’ensemble des participants soient clairs et en phase avec eux-mêmes.

Pour ma part, et je terminerai là-dessus, ma dernière relation, quoique ouverte n’était pas tout à fait ce que je cherche à vivre dans ma vision de l’amour ouvert (ma manière de parler du polyamour la plupart du temps) et malgré des blessures, j’ai beaucoup appris. Je suis seule, mais je laisse place aux autres, je me laisse émouvoir, je veux vibrer et je veux aimer mais je ne souhaite me promettre à personne. Je vous souhaite la même chose.

Plein d’amour,

Alizée.

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4 réponses sur « Le solo-polyamour : c’est quoi, c’est comment ? »

Merci beaucoup pour cet article. Je suis actuellement dans une relation de couple exclusive mais cela ne me convient pas. Je suis en couple depuis 11 ans et nous avons une fille de 9 ans. Je cherche un moyen d’expliquer à mon conjoint ce que je veux mais je ne trouve pas les mots.

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Ce que tu décris s’appelle une non relation, l’étymologie étant du latin « relātiō ». Ce que tu décris n’en ait pas cela s’appelle juste exister au milieu d’une société du désir, c’est au mieux du désespoir dans la réciprocité de rapport humain amoureux.

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