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Portrait de Mahé Elipe, photojournaliste féministe « Au Mexique, le tortionnaire est libre et les femmes sont enfermées »

Mahé Elipe est une photojournaliste féministe française basée à Mexico City depuis cinq ans. Avant d’entamer une carrière de photo-reporter, elle voyage pendant plusieurs années après avoir travaillé dans le milieu de la mode ou elle s’est formée en tant que dans le milieu de la photographie. C’est par amour de l’Amérique Latine et des femmes qu’elle choisit de se relocaliser au Mexique. Son premier reportage était centré autour du groupe Las Patronas, organisation nourissant les migrant.es à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.

« Les gens m’apportent plus que ce que j’apporte aux gens » Voici comment Mahé Elipe décrit la substance de son travail, un échange dans lequel ce sont les photographiés qui font tout, qui apporte à l’image son fond et son sens.  Selon elle, le photojournalisme est avant tout un travail de l’émotion, de la rencontre. Pour Mahé, devenir photo-reporter était un rêve. Elle part d’abord à New-York pour travailler mais déchante rapidement. Ce n’est pas ce qui lui faut. Lors de ses voyages en woofing dans différents pays d’Amérique du Sud, elle tombe amoureuse des gens, de leurs rites, de leur générosité.

Lors des moment des moments de crise, il n’est pas questions seulement « de prendre des images, il faut les diffuser ». C’est bel et bien cet aspect le plus compliqué du travail des photo-reporter est de sortir du cadre de la prise et de réellement partager les images, celles qui parlent le plus des réalités, là-bas, loin.

Le 8 mars dernier, Mahé, sur le front de la manifestation internationale pour les droits des femme à Mexico City, photographie sur le vif les millions de femmes présentes pour protester contre le régime autoritaire Mexicain et sa responsabilité dans la disparition et les meurtres des femmes dans tout le pays. Le plus important me dit-elle, concernant ces prises d’images-là, est qu’elles soient « parlantes, cohérentes, esthétiques ».

Au-delà de photographier l’actualité, Mahé Elipe se concentre sur des projets de fond. Elle me parle notamment d’un projet sur les violences domestiques au Mexique et me confie qu’il est difficile de publier ça. L’idée n’est pas de publier à tout prix mais bel et bien de publier les bonnes images. Que sont les bonnes images ? Celles qui vont parler de la réalité ou du réel ? Quelle est la différence entre les deux ? Voici les questions auxquelles font face chaque jour les photojournalistes du monde entier.

Lorsqu’on est une femme journaliste, féministe et photographe au Mexique en 2020, cela signifie se confronter émotionnellement et professionnellement aux violences de manière fréquente, c’est ne pas pouvoir y échapper dans leur dimension réelle, ne pas pouvoir se voiler la face. Pour Mahé, cela se passe globalement bien mais c’est parfois très engageant émotionnellement. Visuellement, cela veut dire parfois voir. Sur les dossiers des féminicides par exemples, c’est voir les douleurs, voir la mort de plein fouet, voir et ne pas oublier.

« Ce sont aussi des histoires qu’on nous raconte ». Des histoires de haine, de violence, de sexisme quotidien. Au-delà de la caméra, c’est entendre et écouter qui importe pour faire les photos qui vont savoir relater les faits, les émotions des sujets qui sont choisis par Mahé dans ses reportages. Souvent, des relations intimes se nouent avec les femmes qu’elle rencontre lors de ses différents projets. Plusieurs questions se soulèvent alors « Comment gérer tout ça ? Comment réagir ? ». Dans le cadre de ses reportages sur les disparitions forcées au Mexique, un lien très fort s’est développé avec les victimes rencontré.es, notamment avec les mères des disparu.es qui endossent le rôle difficile et cruel d’aller à la recherche des corps de leurs enfants assassinés. Dans ces cas là, il faut respecter ce lien intime mais savoir prendre ses distances.

-THE OTHER PANDEMIC- The violence against women during the COVID-19 crisis in Mexico

Pour son dernier projet en date The Other Pandemic concentrée sur la situation des femmes violentées pendant la période de confinement à Mexico City, Mahé est allée rencontrée plusieurs structures dans le but de récolter informations et images lui permettant de traiter le sujet à fond.

D’abord, un travail avec la police locale a été effectué. Une fois par semaine pendant plusieurs semaines, la photojournaliste a eu l’autorisation de suivre une équipe d’intervention afin de prendre la température et saisir l’ampleur des dégâts. Selon l’équipe de police rencontrée par Mahé et les propos officiels relatés dans les médias majoritaire, les problèmes de violences faites aux femmes ne sont pas qu’un problème économique. Mexico est effectivement divisée en deux parties, les plus riches et les plus pauvres. La classe moyenne y est minoritaire mais les violences sont partout.

Cependant, pour les groupes sociaux les plus défavorisés, il y a souvent des problèmes d’alcool ayant possiblement des corrélations avec les violences mesurées dans les milieux prolétaires. Les femmes issues de cette grande majorité sont donc plus fragiles, notamment sur le long terme puisqu’elles démontrent plus de difficulté à s’en sortir, par manque d’argent.

La suite du processus s’est ancré dans plusieurs visites dans un centre d’accueil d’urgence dans lequel le personnel s’occupait de fournir une aide essentielle aux femmes arrivant là souvent démunies : attention psychologiques, aide financières, nourriture, masques et gel hydroalcoolique. Enfin, c’est dans une refuge pour femmes battues que Mahé a capturé la plupart de ses images.

Dans ce lieu, les enjeux étaient de taille : ne pas prendre les visages des femmes en photo. Il a fallut trouver d’autre moyen de saisir la réalité de ses femmes et ainsi donc se positionner et choisir un angle. Cet aspect est bel et bien un des plus essentiel à la pratique de tout journaliste mais il existe des spécificités à chaque exercice de travail qui demande patience et précision.

Afin de détourner les interdictions et de rendre un reportage au plus près de son expérience d’observation, Mahé Elipe a choisi de photographier les travailleurs sociaux, d’ancrer ses images dans le récit de ses existences centrées autour de l’aide et de la rencontre avec autrui, souvent dans des conditions terribles.

Concrètement, le reportage The Other Pandemic dont les images se divisent en trois parties distinctes relate de plusieurs réalités, la précarité des conditions de vies des femmes dans des situations de violences domestiques, la difficulté de vivre en pleine pandémie lorsqu’on fait partie de la frange la plus défavorisée du pays, la diversité des situations et rôles autour de la pandémie de violences faites au femmes existant au Mexique.

« Le tortionnaire est libre et les femmes sont enfermées ».

Au refuge, les femmes n’ont pas de contact avec l’exérieur. En effet, au Mexique, certaines femmes sont recherchées par le mari, elles sont recherchées par leurs agresseurs qui mettent un prix sur le tête pendant que parfois, chanceuses, ces dernières demeurent dans les refuges – qui garantissent leur sécurité et le secret de leur situation – avec leurs enfants. Parce que le problème des disparitions forcées est bien réel (au Mexique aujourd’hui, ce sont plus de 30 000 corps disparus – soit éliminés par les cartels soit, dans le cadre des violences conjugales, par les maris violents), beaucoup de cas de femmes fuyantes pour des raisons de violences domestiques sont catégorisées dans la même case que les individus recherchés dans le cadre de disparitions forcées. Autrement dit, il est possible qu’elles disparaissent parce qu’assassinées ou qu’elles disparaissent réfugiées pour leur sécurité et celle de leurs enfants.

Dans l’état actuel des choses, au Mexique, le système de plainte est fait de tel manière que beaucoup de femmes se refusent à faire appel au système judiciaire pour chercher de l’aide. La corruption et le sexisme d’État rend la liberté des femmes quasi-inaccessible, tout comme leur sécurité sur le long terme.

Dans les refuges, les femmes avec enfants se confient. Mahé me raconte brièvement que le plus compliqué pour ces femmes, c’est le rapport au conjoint/père des enfants violent. Comment garder des liens quand la figure paternelle menace. Au refuge, les femmes ont par ailleurs aussi accès à toutes sortes d’aides et peuvent y rester le temps de leur rétablissement et de trouver une nouvelle situation plus adéquate.

Dans son travail avec l’espace in situ, Mahé travaille avec différents cahiers des charges, ces derniers s’assouplissent avec les années et l’expérience pendant qu’elle prend en confiance vis-à-vis de ses images. En termes d’espace, il s’agit surtout d’un travail de confiance, au « feeling »

« Le temps est clé pour les bonnes images, il faut être patiente. »

Au Apis, un centre d’aide pour les femmes dans le besoin, Mahé Elipe a réalisé des portraits de femmes qui travaillent là. Lors de notre entretien, je me suis intéressée à l’importance du portrait dans ton travail et dans le photojournalisme en général.

À travers le portrait, et ses différentes séries, Mahé entend transmettre « un caractère par un regard, par une expression. » Elle précise que dans cet exercice, « Il faut faire attention, être honnête en s’effaçant au maximum. ». 

Le portrait en photojournalisme est connu pour être particulièrement périlleux ; il demande un certaine objectivité car il est destiné à être transmis à un public sinon de néophytes, d’étrangers, de personnes qui souvent, ne connaissent pas la situation dans le pays et voient ces images pour la première fois. À ce sujet Mahé se confie « La difficulté c’est de faire parler le portrait sans que moi je parle ». Elle me parle de sensibilité, d’écoute qui se doit d’être ressentie par le sujet, un espace laissé à la personne en face de la caméra qui s’impose, elle aussi, par son regard.

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