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Le viol est un fait, pas une destination.

Art par Betty Tomkins – 2020

Être violé.e.

C’est un fait.

Pas un choix, pas une destination, un fait.

C’est un fait qui fait mal, un fait fantôme dans le cœur qui gémit la nuit, qui hurle la nuit, qui se guérit en cauchemars.

Des femmes qui souffrent de ce fait, des millions, des hommes qui souffrent sans comprendre, sans pouvoir parler, des millions, des milliers de violeurs, autant que de violé.e.s. Nous avons peur, les femmes ont peur,  les hommes ont peur. Nous avons peur de cette agression-là, nous enseignons à nos petites à en avoir peur, nous enseignons à nos petits de l’ignorer chez leur congénères du même genre et nous perpétuons les mêmes rites de passages, over and over again.

Aujourd’hui, je fête en écriture les cinq ans d’anniversaire de mon viol. À la vôtre.

Aujourd’hui je suis chanceuse car je suis libérée.

Libérée des souvenirs qui d’embués deviennent clairs, limpides, douloureux mais transparents, enfin.

Je me souviens de tout, son visage, sa peau, son odeur si je me concentre bien, sa voix, son accent, ses mots, sa violence, mon lit.

Le lit, le seul, celui qui est censé abrité les rêves change soudain de couleur. De bleu nuit il devient noir, la noirceur de l’âme ainsi changée. Le soleil tombe ce soir et je ne sais pas comment dire la douleur car ce n’est pas elle qui compte, ce n’est pas la douleur qui compte mais bien la guérison. Ce que je compte, ce sont les heures passées à ressasser, ce sont les heures passées à échapper aux souvenirs.

Être violé.e , c’est un fait, c’est tout.

(…)

Respirer le doute, respirer les mots qui ne sortent pas, respirer, sentir en soi les mots qui veulent saisir l’ampleur des dégâts, les mots d’amour qui n’existent plus pour soi mais pour les autres, les sauveurs et les sauveuses croisés sur la route au hasards des cahots.

Chaos, c’est la mort qui s’insère dans le cœur quand on se fait violer, ce sont les violons qui ne chantent plus, c’est la musique qui s’arrête pendant près de quatre ans, un an dans le noir, décompte, puis les autres années dans le flou. L’idée n’est pas de se rappeler mais de se souvenir, d’accepter que les mots qui ne sont pas sortir, que la police qui n’a jamais su font partie de ma vie. Accepter ce que le corps n’a pas voulu subir, ce que l’esprit a gardé, flou lui aussi, pas artistique non, bestial, la mémoire elle s’est dérobée pour se déchirer en millions de petites images pixélisées.

Le viol, comme un film, un mauvais film de série B, en boucle dans la tête.

Il n’aura pas d’Oscars mon viol, pas de césars, pas de Polanskgate non plus, il n’aura pas d’award mon viol, il n’aura rien qu’une mémoire, physique, corporelle, charnelle, sexuelle.

Des phrases qui ne se construisent plus, des phrases qui ne veulent plus faire de sens autre que dire, dire, dire la violence sans la nommer, dire la violence, les coups, les femmes, les sœurs, les frères, les mères, les pères, les femmes, les femmes, les femmes.

Parler d’elles plutôt que parler d’eux : les violeurs. Des âmes violées aussi.

  • Quelques douleurs, des faits.
  • Quelques pensées, effilées, profondes, destructrices.
  • Un viol, un fait – Divers,
  • Sons, images, mouvements.
  • Mon viol, un musique que je connais par cœur,
  • Mon viol, une peinture ensanglantée,
  • Une chorégraphie des corps qui s’entrechoquent et jamais ne sèment.
  • Une danse infertile, le viol.
  • Le viol, un mot aussi, un mot, une syllabe, une mort en soi,
  • Une culpabilité, de soi à soi, des non-dits et des trop-dits, non, tu ne l’as pas cherché non,
  • ton viol n’est pas une quête, c’est –
  • Un fait, une crime, et ta vie
  • Se rend parfois paisiblement dans la reconstruction,
  • Tu t’en rends dans l’Exil parfois,
  • De ton corps hors et en lui,
  • Tu as subi un viol, un fait,
  • Tu as transformé, tu renais dans une nouvelle sexualité, neuve –
  • Tu n’es pas que ça –
  • Une sexualité abîmée, une sexualité malade, une sexualité, un fait, une âme.

Des hommes, des hommes violées dans leur âmes violent pour ne pas mourir, meurent de violer et nous mourrons ensemble en ces transes plus ou moins longues. Oublier aussi, pour ne pas mourir, oublier la souffrance pour ne pas périr, pour se soigner. Oublier, oublier, oublier.

(…)

Un viol, un fait. Une gifle, un fait.

Un coup, un geste oublié, un petit geste sous le déluge dans le cauchemar. Un petit geste qui revient dans la tête bien des années plus tard et l’on se dit que c’est impossible d’avoir vécu ça. Je me dis que c’est impossible d’avoir vécu ça, mais c’est un fait, un jour, je fus celle qui parmi d’autres, fut violée.

Et que fait-on avec ce fait ? On l’endort, on l’enferme, formol de mon cœur tâché désormais des couleurs de ce jour-là, tâché des larmes qui ne sont pas tombées tout de suite, tâchées de mes douleurs d’enfant ramenées toujours à ce fait comme si tout, avant, n’avait pas existé.

Que fait-on avec ce fait ? On le prend, on le regarde droit dans les yeux et on lui dit comme on dit aux victimes d’agressions sexuelles sous toutes leurs formes : je te vois, je t’entends, je ne peux t’ignorer mais écouter la substance de ta réalité, je peux sentir que tu es vrai, bien là, dans notre monde, dans ton corps à toi, à lui, à elle, dans notre monde, dans notre société comme un éléphant gigantesque au milieu de la pièce, la violence sexuelle existe, toujours existera mais nos corps blessées ne peuvent être ignorés, ils sont vivants nos corps, ivres de joie dans des bras bienveillants, ivres de joie dans les larmes douces de la souffrance libérée,

Ivres, c’est un fait, les survivant.es le sont de cette vie qui continue de couler dans nos veines, de ce sang qui ne coule plus dans nos larmes, et pour toutes celleux dont le sang encore est bel et bien présent dans les rêves et dans les espoirs, je vous aime, je vous soutiens, je vous encourage à chercher de l’aide, je vous prends dans mes bras comme je prends dans mes bras l’enfant en moi qui n’a pas su voir, qui a dit non qui a dit non encore et encore et qui n’a pu être écouté par une âme, celle du violeur aveuglé.

Nous sommes vivant.e.s, ne l’oubliez jamais.

Alizée Pichot

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