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Maylee Keo – Portrait d’une illustratrice transmédiatique – Couleurs et luttes croisées

J’ai rencontré Maylee dans la rue lors du festival Underpressure à Montréal. C’était le mois d’août, il faisait chaud, comme cette année et nous étions heureuse, là en train de faire ce que nous aimons. Moi, en train de superviser une murale en préparation avec mes ami.es les muralistes et Maylee, sur le mur juste en face, en train de peindre le sien.

Nous nous rencontrons sur un bout de trottoir et nous faisons cette interview via facetime, distance oblige pour parler de cette artiste que j’aime et qui m’a permis de plonger dans son univers sans tabou et avec une verve déterminée à ne pas cacher les enjeux qui la poussent à travailler pour et avec les autres, pour et avec les femmes, toujours féministe, toujours engagée.

Dans cet interview, nous verrons comment Maylee trouve les mots pour parler d’un Québec qu’elle connaît bien, d’un milieu dans lequel les publics ont été « matantifiés », d’un monde de l’art dans lequel les artistes, la panoplie de femmes artistes existantes a besoin d’être « unapologetic about who they are ». Elle parle des choix à faire par soi-même dans une volonté de créer, une volonté de briser des codes et de transcender les blocages médiatiques frileux de montrer le travail des artistes racisés.

« Je suis asiatique et je peux tout faire. Je suis consciente de pouvoir motiver une personne rien qu’avec mes dessins en restant authentique à mes envies et à mes émotions. Ne nions pas le pouvoir créatif de la collectivité, reconnaissons les alternatives, il n’y a pas de trêve à la création »

Dans son travail et dans sa démarche artistique se situe un double besoin : la nécessité de reconnaître les intersectionnalités existantes entre les arts et les identités des artistiques tout comme le besoin ‘d’être fidèle à soi-même.

INTERVIEW

Peux-tu me parler de tes débuts en arts visuels ? Créais-tu enfant ? Si oui, quel était ton rapport avec cette pratique en construction ?

orsque j’étais petite j’aimais beaucoup des dessins animés japonaises comme Sailor Moon, Pokémon et Dragon ball. Je copiais les personnages que j’aimais bien et mes débuts étaient très inspirés par des mangas mais j’ai toujours aimé essayer d’autres styles comme du réalisme ou des trucs plus fantastiques comme des dragons.

En termes de sensibilité artistique, qu’est ce qui t’a fait vibré à tes débuts, et qu’est ce qui te fait vibrer aujourd’hui ?

Je me souviens d’avoir regardé beaucoup d’images en ligne par des artistes qui étaient sur Neopets et sur Deviantart et j’ai toujours voulu essayer de dessiner comme eux ou apprendre comment améliorer mes skills en illustration numérique. Maintenant, j’ai l’impression avec les réseaux sociaux, c’est tellement plus facile d’être inspirée par tout ce qu’on voit ou ce qui nous entoure. Des fois trop même! J’ai l’impression que maintenant que j’ai envie de dessiner des choses que je ressens sans à trop essayer de plaire à quelqu’un. Je dessine ce que j’ai envie et ce que j’aime comme la nature, des fleurs, des trucs ordinaires mais que je trouve super beau.

Quand as-tu réalisé que tu voulais en faire ton métier ?

J’ai toujours pris des cours qui étaient orientés vers les arts et un moment donné durant le secondaire, je me suis dit que c’était pas mal le chemin que j’allais continuer à prendre. es profs à l’école m’ont donné espoir et m’ont tellement bien encadré pour que je prenne le bon programme au cégep/collège. Je me souviens que j’ai dû dire à mes parents: « ouais ben je pense que je vais continuer en arts » et ils semblaient avoir accepté depuis très longtemps ma décision.

Comment décrirais-tu ton style visuel ? Il semble fait d’une multiplicité d’inspirations qui me rappellent plusieurs artistes que j’ai rencontré à Montréal, dont Loopkin par exemple.

Mon style est coloré, ludique, simple, je veux qu’on comprenne ce que je dessine sans trop que ça soit compliqué. Je trouve que la force que nous avons comme illustrateurs c’est de pouvoir illustrer des émotions et des sentiments mais avec notre perspective. Mais c’est sûr que mon style s’est plus développé quand j’ai découvert et fait partie du collectif de body paint “skinjackin”. C’est là que j’ai rencontré des gens trop cool comme Charlie Kalkair, Aurélie Grand, Julien Castanié, Delphine Dussoubs et bien sur Justine Biard aka Loopkin. Nous avons aussi des teams d’artistes en France et leur styles m’ont vraiment ouvert les yeux sur comment simplifier mes dessins vu qu’on dessinait sur des bras et des jambes et que fallait qu’on soit super rapide.

Selon toi, quel est la place de l’art public dans le développement de l’art visuel en général ? Pour toi, l’illustration plus traditionnel et l’art public ont-ils des fonctions différentes dans ton travail ?

L’art public a pris beaucoup plus d’espace et devient plus accepté depuis les dernières années. Maintenant j’ai l’impression c’est un terrain de jeu plus ouvert et plus en demande et puis pourquoi pas. C’est beau et ça nous aide à sortir de nos médiums de base.

La différence entre mon travail de tous les jours et lorsque je fais des projets sur des murs par exemple c’est juste se demander à qui on parle. Un projet de client aurait peut-être un public cible plus précis tandis que sur un mur je trouve que c’est un super médium et espace pour partager nos idées et de rejoindre plus de monde que juste un groupe d’âge en particulier. J’essaie tout de même de rester le plus authentique à mon travail qui est autant traditionnel, sur un mur ou projeté sur un mur. C’est important d’utiliser cette plateforme pour partager et de connecter avec les gens qui voient ces illustrations.

Quel est l’importance de la couleur dans ton travail ? As-tu une relations particulière avec certaines couleurs qui reviennent souvent dans ton travail et si oui, pourquoi ?

Je trouve ça tellement important les couleurs, juste pour associer une émotion ou des histoires pour qu’on comprennent la vibe d’une image tout de suite sans avoir à lire quoi que ce soit. J’adore utiliser des couleurs vibrantes car je trouve que ça me représente. Avant je voulais rien savoir des couleurs, je dessinais seulement en noir sur blanc. j’essaie aussi de faire des variations de couleurs qui sont pas nécessairement proche de la réalité, mais assez colorés pour qu’on se sent représentés dans les personnages.

Tu mélanges beaucoup le figuratif et la ligne plus libre dans tes œuvres, ainsi qu’un focus sur la représentation de la nature et des portraits de femme. Peux-tu me parler de ce choix ?

Ça va au feeling, je sketch souvent des trucs plus réalistes avec plus de lignes et d’hachures quand je me sens triste ou fâchée. À l’inverse, quand je suis plus contente, je dessine des choses qui me rendent heureuse et de mettre des gros aplats de couleur qui sont chaleureuses c’est quand même cool. Je dessine beaucoup la nature et les femmes parce qu’il y a beaucoup de formes qu’on peut créer. Cependant lorsque je dessine des femmes c’est aussi une manière de transmettre ce que je ressens, soit beaucoup d’amour ou de la mélancolie, dessiner des artistes qui m’inspirent et que j’admire ou bien explorer d’autres manières d’illustrer des gens.

Tu pratique le VJing depuis quelques temps, quelle est pour toi l’attrait de la mise en mouvement de ton travail d’illustration ? Comment es-tu arrivée à cela et qu’est ce qui te plait le plus dans cette pratique ?

J’ai vu que beaucoup de gens dans le motion design étaient aussi des vjs et j’ai toujours aimé aller à des concerts de musique et regarder les visuels réalisés pour les artistes. J’ai eu beaucoup d’aide et d’introductions au vjing grâce à mes amis et me voilà enfin avec un style et un thème que je trouvais vraiment cool à présenter. J’ai toujours cherché c’était quel type de visuels qui allait définir mes sets de vjing et après mon long voyage au cambodge, je me suis dite que de projeter des visuels cambodgiens interprétés de ma manière, c’était une belle opportunité de partager mes racines avec le monde entier à des évènements

JEANNES D’ARC DE MONTRÉAL

Ce projet de motion design est issu d’un constat : ON EXISTE crient les femmes du milieu à Montréal. Ensemble, elles s’unissent pour faire valoir leur place dans le monde des arts qui manque cruellement de représentativité. À l’initiative de Maylee, les femmes du collectif se demandent : A-t-on le droit de créer ? Elle me confie que beaucoup de femmes se demandent comment rentrer dans les groupes, comment faire pour partager son art lorsqu’on est même pas reconnu.es dans son métier.

En termes plus social, quelle est selon toi la place des femmes dans les arts visuels ? Ressens-tu un déséquilibre et/ou des avancées claires dans l’égalité hommes/femmes dans les arts ?

C’est drôle mais je trouve qu’il y a quand même beaucoup de femmes en illustration, mais à l’inverse je trouve qu’il n’y a pas assez de femmes en animation. Donc les deux domaines auxquelles je fais partie sont opposés l’un de l’autre. Il y a clairement plus d’hommes dans le monde du design et pas assez de diversité. il n’y a pas assez de femmes et il n’y a pas assez de gens de couleurs.

« Dans le monde du motion design, il y a trop peu de femmes, trop peu de personnes de couleur. Les personnes de couleur ont le droit de créer. « 

Que penses-tu de la scène artistiques montréalaise en termes de diversité et de représentation ?

C’est malheureusement très blanc et sous représenté. ans les médias plus mainstream on ne cherche pas plus loin dans le méga répertoire de talent montréalais pour des gens de couleur ou même la majorité des compagnies sont pas très diversifiée. Souvent dans toutes les jobs que j’ai eu j’étais souvent la seule femme et la seule personne de couleur en création.

Tu t’exprimes beaucoup sur les questions de racismes au Québec et de non-reconnaissance de ces enjeux par une grande partie de la population. Il y a-t-il eu un moment clé pour toi qui t’a poussé à t’exprimer ou cela est-il venu naturellement ?

Je pense en tant que personne racisée tu vis avec ça depuis que t’es né et moi j’ai fait le choix de toujours dénoncer ces injustices. Je trouve qu’être silencieux ou choisir d’ignorer quelque chose de mal qui arrive à soi-même ou à quelqu’un d’autre c’est pas correct. Le stéréotype de la fille asiatique soumise ou d’autres gestes qui sont des micro-agressions, c’est assez. Faut arrêter de se diviser et trouver des solutions pour s’unir. Faut traiter les gens comme on veut se faire traiter pis moi c’est tout simplement être respectée comme personne. encore là, avoir une plateforme que j’ai, c’est pas gros, mais c’est quelque chose.

« TREAT PEOPLE THE WAY YOU WANT BE TREATED »

Maylee Keo s’exprime sur la présence trop peu représentée des communautés minoritaires au Québec. Pour être, être silencieux sur les réalités c’est être complices de celles-ci. Pour être, c’est être hypocrite que de ne pas voir plus loin que le 1er degré d’une situation.

Si tu pouvais transmettre un message précis à des personnes qui détiennent des pouvoirs clairs dans la communauté artistique montréalaise et québécoise, que leur dirais-tu ?

Regardez autour de vous, vos cercles d’amis, vos collègues, votre famille, vos projets, vos équipes. c’est le moment de réaliser qu’il y a des problèmes dans notre domaine et réaliser que c’est pas assez diversifié. essayez de créer des postes et d’engager des gens de couleurs. Demandez-vous si vous pouvez céder votre place ou collaborer avec quelqu’un qui est une minorité visible. Questionnez- vous sur des sujets inconfortables et d’écouter les gens qui ont vécu de quoi de traumatisant que vous n’avez jamais eu à vivre, de les comprendre du mieux que vous pouvez et de devenir des meilleurs alliés.

Pour finir, quel sera le rôle des artistes dans la redéfinition d’un monde post-crise du Coronavirus ? As-tu des objectifs personnels de communication à travers ton arts pour les années à venir ?

Je pense c’est de continuer à créer, d’explorer des illustrations qui vont refléter les émotions que nous vivrons dans les prochaines années. que nous avons des outils pour trouver des alternatives et qu’il y a moyen de créer malgré la distance entre nous tous. C’est le moment de se connecter avec soi, de se comprendre mieux dans cette situation de confinement et de s’en sortir plus conscients de notre milieu et de notre environnement

« Qu’est ce que toi, tu peux faire oour rétablir la balance des inégalités? » Donner des dons, mettre en mouvement tes mots en action.

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