Image : come of things, Del Kathryn Barton, 2010, Provenant de la collection : Art Gallery of New South Wales
Ça fait quelque temps que je n’ai pas écrit sur la sexualité. Peut-être parce que j’étais occupée à écrire des romans ou peut-être parce que je ne sais plus comment en parler de cette vie du corps qui veut aimer, qui est aimé, qui jouit, qui crie, qui sue, qui prend son pied, bref. la sexualité.
Lorsque j’ai lancé ce site, les premiers articles sont sortis d’une envie féroce de parler de féminismes et de sexualité parce que je pouvais, parce que je me sentais libre je crois, parce que j’avais ça en moi. Tous ces mots crus qui parfois ont choqué ma famille, toutes ces idées sur les relations et les rapports et le cul, je les ai toujours ces mots-là, mais je ne peux plus les dire de la même manière.
Pourquoi ?
C’est une grande question. C’est une question qui a occupé nombre de mes nuits, une question qui a bloqué mes orgasmes et embrouillé mes désirs. Parler de cul c’est bien mais être heureux.se dans sa sexualité, c’est mieux. Et la réalité, c’est que ce n’est pas mon cas.
En septembre 2015, comme ça, c’est arrivé, je me suis fait violée. C’était horrible, c’était long, c’était injuste, comme tous les viols, c’était trop pour mon petit corps et mon grand cœur qui ont préféré le déni plutôt que la douleur.
Mais il n’est pas question de parler de viol ici. Il est question de parler de mots, de plaisir, d’avenir et de passé, un peu. Je ressens le besoin aujourd’hui de faire le point par les mots, d’assumer aussi, je crois quelque chose qui ne fait pas plaisir à dire de soi-même : je me suis ignorée, je me suis reniée moi- même par peur.
Oui, par peur. Nous sommes nombreuses et nombreux à nous enfermer dans des définitions de nous-mêmes, de croire que nous sommes X ou Y alors que nous sommes, quasi-tous, les deux. Bref, je m’explique. Les trois dernières années et demi, j’étais en partenariat amoureux avec un homme, cisgenre et hétérosexuel. Pour ma part, je suis cis-genre mais loin, loin, loin d’être hétérosexuelle. Je n’en ai jamais vraiment parlé sur ce site, j’écris toujours de manière décalée sur le sujet. Quel sujet, une fois de plus, on tourne autour du pot:
j’aime les femmes et pendant trop longtemps je me suis empêchée de les aimer.
Outre les femmes ou les hommes, j’ai de l’amour à revendre pour toutes les personnes qui m’attirent et qui me stimulent. Je suis tombée amoureuse d’une personne trans non-binaire et j’ai couché avec un homme gay. À priori, sur la fluidité, je n’ai pas de problème. Ce qui a été véritablement difficile pour moi, et encore plus difficile à accepter, c’était mon incapacité à vivre librement mon attirance viscérale pour les femmes.
Pourtant, avant – avant quoi ? AVANT LE VIOL PATATE (c’est moi la patate ici) – avant tout ça, j’avais eu des histoires, des jolies histoires mais des histoires difficiles. Là encore, je crois que je me mens à moi-même.
La vérité c’est que je suis tombée amoureuse d’une jeune femme qui n’était pas prête à aimer une autre femme. J’ai eu mal de ses mensonges, j’ai eu mal de la porte claquée et du désespoir par la suite engendré, je me suis sentie trahie et j’ai mis des mois à aller mieux. Quelques semaines après notre rupture, je me suis faite violée, je crois que je n’ai pas eu le temps de comprendre et après elle, après ce chaos intersidéral qui s’est abattu sur mon cœur et sur mon corps, j’ai commencé un voyage bien étrange dans les relations toxiques, les attachements inutiles, les blocages intérieurs et la douleur, oh une douleur profondément ancrée et incomprise.
De ces années de doute, je retiens beaucoup de choses, mais surtout de l’amour, de l’amour à en revendre, à jeter par les fenêtre, à distribuer partout, un amour venu de moi donné à l’extérieur mais aussi un manque d’amour de moi envers moi-même…
Je ne sais pas exactement quand j’ai commencé à mettre le bonheur des autres avant le mien mais il y a définitivement eu une rupture entre mon cœur et mes actions, entre les désirs nourris par mon corps en secret et la manière dont j’ai agi sur ces désirs… c’est à dire ne pas agir, ne pas sortir de ma zone de confort. Ne pas accepter ma pansexualité telle qu’elle était : réelle, importante, valide.
Dans ma manière de concevoir ma propre sexualité avec les femmes, quelque chose a changé avec le viol. J’aurai voulu que ce ne soit pas le cas mais c’est comme ça, je me suis sentie sale et j’ai eu peur de les abîmer, les femmes que j’aime tant, de leur transférer quelque chose de dur, de violent, d’impropre parce que j’avais ça en moi, la violence d’un homme malade qui s’est acharné sur moi. Aujourd’hui, je comprends que je me suis trompée, je comprends que seule une intention négative peut abîmer quelqu’un. Mais spécifiquement parce que je croyais ne jamais pouvoir me départir de ce sentiment, j’étais pile dans l’intersection néfaste de rapports qui ne pouvaient être épanouissant.
Un message à toutes les femmes pansexuelles ou bisexuelles en couple avec des hommes : vos désirs des femmes sont valides. Si votre homme vous dit que c’est correct d’aller coucher avec une femme mais pas avec un homme, il y a un problème. Si vous vous forcez à coucher avec lui par principe alors que vous désirez autre chose il y a un problème. Si vous n’avez pas toujours envie d’un pénis et que votre partenaire vous le fait sentir comme une tare, il y a un problème. Ne vous effacez pas, ne pensez pas que votre identité n’existe que dans un spectre limité. Vous avez le droit le droit de désirer qui vous voulez peu importe le genre de votre partenaire.
Continuons donc. Pour ma part, je suis tombée dans le piège de l’hétérosexualité normative. Je ne suis pas fière mais c’est comme ça. Malgré avoir été dans une relation ouverte avec mon homme pendant plus de trois ans, je suis tombée oui, j’ai craqué et je me suis laissée allée à un confort parce que je ne savais pas ou puiser la force en moi de ne pas le faire, je ne savais pas comment vivre mon amour pour un homme et mon envie de vivre une belle histoire simple, légère et honnête avec une femme. Peut-être à cause de ma première histoire lesbienne compliquée, peut-être à cause de trauma anciens, peut-être à cause du climat toxique de l’hétéronormativité partout. Parce que oui, c’est vrai que c’est plus facile d’être avec un homme quand on a désespérément envie d’être aimée. Parce que c’est plus facile pour soi, pour la famille, pour les amis. C’est plus facile mais ça ne rend pas plus heureux.se.
Parenthèse cul : en janvier dernier, alors que je terminais dans une transe l’écriture de mon premier roman, je suis sortie danser avec des amis à Montréal. La nuit passant et la chaleur montant, j’ai pris confiance en moi. Allant chercher une cigarette dans mon sac pour aller fumer à -20 degrés, j’ai rencontré un jeune homme. Il m’a rejoint plus tard sur la piste de danse, nous avons dansé, il était beau et il sentait bon. La musique funk aidant et une belle énergie, j’ai accepté de m’ouvrir. Ça faisait au moins trois ans que je n’avais pas couché avec un inconnu. Dans les années ayant suivi l’agression sexuelle, outre mon partenaire principal, je n’avais couché avec aucun homme hétérosexuel. J’avais peur de ne pas savoir dire non à nouveau, peur de me faire dominer de force, peut que l’inconnu prenne le dessus. Cette nuit-là, j’ai eu le sentiment d’être courageuse. J’ai dit au jeune homme avant même que quelque chose se passe que je m’étais fait violée et que rien ne serait acquis. Il m’a cru, il m’a écouté, il m’a respecté et je l’ai laissé me touché comme si je n’avais jamais fait l’amour avant… et pourtant, les hommes d’une nuit je les ai connus. Je les ai connus dans la rue, dans les boîtes de nuit, dans les halls d’entrée à moitié habillée, dans les chambres d’amis, dans les chiottes, oui je les ai connus, je les ais baisés et je les ai laissé me désirer dans l’attente de quoi, je ne le sais toujours pas.
Cet homme-là, ce gentil garçon que j’ai laissé me touché m’a redonné confiance en moi. Cette nuit-là, quelque chose a changé. Quelque chose a shifté dans mon corps et dans mon sexe aussi. J’ai compris que j’avais besoin de liberté, besoin de me sentir en contrôle de mon désir plus pour ne pas souffrir mais simplement parce que j’ai le droit de vouloir ce que je veux soit : rencontrer des âmes spontanément, sans peur, sans choix de genre, juste pour leur énergie, leur sympathie même éphémère. Avant lui, je ne voulais plus céder au désir masculin que je voyais comme sale, même si j’étais désirée chaque jour depuis trois ans par un homme qui m’aime et que j’aime, profondément.
Alors où est le problème me direz-vous ?
Si j’étais vraiment naïve je dirais, mais il n’y a pas de problème, tout va bien. Mais ce n’est pas ce que je ressens. Je décide de parler aujourd’hui parce que je connais trop de femmes, trop de personnes qui ne sont pas heureux ni dans leurs relations de couple, dans leurs relations avec eux-mêmes et dans leurs sexualités, qui sont toutes complexes, même dans l’hétérosexualité trop souvent récriée et vue comme simpliste et basique. J’écris aujourd’hui pour me rappeler que je suis une femme libre, que je ne peux me laisser définir par mes traumas ou des croyances cristallisés dans la mémoire ô si puissante de mon corps. J’écris pour donner de l’espoir à vous tous et toutes qui êtes bloqués dans des schémas dont vous ne parvenez à sortir. J’écris pour les femmes que j’ai croisées, que j’ai embrassées et que j’ai vu repartir, isolées, avec des hommes ne les comprenant pas. J’écris parce que les personnes homosexuelles, pansexuelles et asexuelles ne sont toujours pas libres de vivres leurs amours et leurs désirs comme ielles le souhaitent. J’écris parce que nos cœurs pleurent encore des clichés, des stéréotypes sur les identités de genre et les orientations sexuelles. J’écris parce que l’homophobie internalisée est réelle et qu’elle nous bouffe à petit feu jusqu’à ce que nous nous nions au point d’oublier qu’un jour nous avons voulu aimer différemment.
Depuis une semaine que je n’ai pas touché ce texte, peu de choses se sont passées à l’extérieur de moi – confinement oblige – mais un monde a bougé en moi. Les vagues de mes émotions ont failli m’écraser mais je me suis relevée.
Dans le changement, dans la distance prise consciemment, dans la décision de séparer un lien de couple, de transformer une histoire d’amour et de sexe en une histoire d’amitié plus profonde encore, je trouve un immense plaisir mais surtout une grande reconnaissance. Je suis heureuse d’avoir la sensation d’écrire ma propre histoire. De ne pas me soumettre aux schémas classiques des relations tels qu’on nous les propose dans les mythes ou dans les récits majeurs. On nous dit que A et B se rencontrent, que A et B s’aiment et que lorsqu’un des deux n’aime plus ou souhaite changer de format alors – sauf si A et B ont des enfants, seule condition qui peut aller au delà de l’amour – il faut se séparer à tout jamais. Les règles changent, A et B n’ont plus de droit de communiquer, A et B doivent savoir exactement ce qu’ielles sont à leurs yeux et aux yeux des autres.
Les étiquettes encore une fois…. En couple, séparés. Pas d’autre alternative ? Pas de « je suis bien toute seule mais des fois j’aime alors et alors quand j’aime laisse rentrer les gens peu à peu dans mon coeur et donc dans ma vie » ?
Beaucoup de questions pourraient venir clôturer ce texte et si je continue ces sont les bribes ponctuelles et bordéliques de ma vie qui se déverseront ici et je ne le souhaite pas. Ce que je veux dire c’est que nous ne sommes pas obligé.es d’obéir aux normes relationnelles, ni à celles, toxiques et limitantes de l’hétérosexualité. Je me suis rendue compte, ces dernières années, dans mes amours et dans ma sexualité que les relations qui m’apportaient le plus de bonheur et au travers desquelles j’avais vraiment le sentiment de grandir sont les relations dans lesquelles il n’y a pas d’attente avec l’autre. Ni sur ses désirs, ni sur ses passions de vie, ni sur les modes de communication.
Prenez soin de vous, de vos cœurs et de vos corps. Ne cédez pas à la pression sociale. Ce que vous êtes, ce que vous ressentez, quoi ou qui vous désirez ne regarde personne. Si vous avez besoin d’aide allez chercher de l’aide, parlez de vos expériences à vos proches, faites le tri dans vos ami.e.s, hurlez votre colère et votre douleur, tentez chaque jour un peu plus de vous aimer…
Moi je vous aime pareil.
Alizée Pichot