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Maryse Choisy et Valentine de Saint-Point: féministes, autrices et femmes libres oubliées

Depuis quelques semaines déjà, je fouille dans mes cartons de livres. Je sors, et je range mes ouvrages les uns après les autres, parce que je crois, à l’aube d’un départ outre-Atlantique, que ces feuillets de papier reliés vont me manquer.

Parmi eux, des perles, des poids, des briques, des bibles, des némésis, des amours, des livres mythiques à mes yeux et à ceux du passé, de tous ces regards, ces âmes qui ont lu les mêmes livres… Parmi ces livres, un est nettement plus gros que les autres.

ANTHOLOGIE DES LECTURES EROTIQUES : DE GUILLAUME ...
Anthologie des lectures érotiques – De Guillaume Apolinaire à Philippe Pétain 
Par Jean-Jaques Pauvert chez Jean-Paul Simoën. 1979

Voici la bête. Un monstre de travail, de recherche et d’amour des livres dans lequel je me suis replongée cette semaine, ébahie de fatigue et inspirée à apprendre encore.

Dans cette anthologie de presque 2 kilos, on croise aussi le prometteur Manifeste de la femme futuriste écrit par  Valentine de Saint-Point en 1912. Elle y postule une rébellion profonde et violente des femmes par la désobéissance civile justifiée par la nécessité d’un choix leur incombant: dans la révolution des femmes, il faut choisir son camp : la mère ou l’amante.

La maman, ou la putain. 

 

 

 

Je vous passerai les détails de lecture outre certains croustillants :   Une orgie urophile et mouillée comme après une foudre dévastatrice par George Bataille, l’oeuvre d’Apollinaire distillée en fragments, explicitement inspirant des dizaines d’artistes de son temps. Dans ce gros livre, trop peu de femmes recensés sous la typologie érotique quoi-qu’incarnée par des figures d’écrivantes du début du 20ème siècle. On voit dans ce livre des idéologies et des pratiques littéraires émerger et se confirme une fois de plus la place de la sexualité dans le monde des idées et des livres. 

Je note aussi la présence jubilatoire quoique parfois étrange du texte l’Anus Solaire, écrit en 1927 par Georges Bataille et publié en 1931 aux Éditions de la Galerie Simon avec les illustrations d’André Masson, proche des surréalistes. 

Je m’attarde sur le manifeste futuriste de Valentine de Saint-Point parce que ce texte, dans tout son ancrage contextuel est important et éclairant sur les divisions actuelles existant  dans les mouvements féministes toujours divisés: lesfemmesCisVsLes autres, lesQueersVsLeshétéros, lesblancsVslesAutres, lesméchantsVslesGentils, l’étatVslesautres. L’Alter et l’égo ne sont toujours pas réconciliés.

Parmi ces dichotomies, je pense que certaines sont plus vraies que d’autres, plus pleines, si j’ose dire, d’une espèce de vérité qu’il nous est difficile d’affronter parfois. Dans ces vieux textes écrits par des femmes récriées à leur époque, nous trouvons beaucoup encore de notre modernité et peut-être, aussi, un peu de notre futur.

Plongeons maintenant dans la vision de Maryse Choisi, journaliste et écrivaine et philosophe délivrée dans une prose acérée et douce dans « Un mois chez les filles »  publié 1928 aux Éditions Montaigne à Paris. Ce livre, véritable reportage  – recherche d’information, observation participante, description phénoménologique et sociale, analyse – nous laisse rentrer dans le monde des bordels du côté des filles, pendant un mois, pour penser, pour comprendre, pour laisser voir au monde ce qu’il voulait à tout prix cacher. Immersion.

Maryse-choisi-1

Voici Maryse, journaliste, donc, je l’ai dit – mais j’insiste car c’est un métier que les femmes ont mis longtemps à s’approprier et encore aujourd’hui nous peinons parfois à faire entendre nos voix. Elle fut aussi la fondatrice de la revue scientifique Psyché. Revue internationale de psychanalyse et des sciences de l’homme, publiée jusqu’aux années 1960.

La particularité de son travail, au delà du texte abordé ici, c’est le ton des mots de Maryse Choisi qui sont à l’intérieur de l’événement, du groupe, de la scène qui est raconté avec tout de même une forme de distance.

 

 

 

Concernant les féministes qui se cachent dans l’ouvrage, parlons de  Valentine de Saint-Point qui écrivait dans son manifeste futuriste en 1912 une phrase que je n’ai osé inséré plus haut : « 

« Il ne faut donner à la femme aucun droit réclamés par les féministes. Les lui accorder n’amènerait aucun des désordres souhaités par les futuristes, mais au contraire, un excès d’ordre« .

Valentine de Saint-Point

 

Ce qui m’a poussé à relever ce passage polémique ou prometteur et qui force encore mes yeux sur lui, c’est l’impertinence, l’anarchie presque insidieusement inscrite entre ces mots.Notons que ce texte est un réquisitoire contre un mysogyne notoire de l’époque – équivalent à Denise Bombardier ou Éric Zemmour – Marinetti, goujat de première classe.

Valentine de Saint-Point, comme d’autres aujourd’hui, debout face à un soulèvement et des luttes qui s’institutionnalisent explicite son désir de sortir des cadres et affirme un pouvoir ni supérieur, ni plus élevé mais égal, car différent, complémentaires dans toutes les choses du mondes, vouées à persister.  Même si ces mots nous paraissent aujourd’hui relever du mouvement des white feminist, et que ce fut sûrement déjà un peu le cas à l’époque, quelque chose de la compréhension de nos système est en jeu dans cette phrase. Dans les mots futuristes et féministes –à l’époque profondément révolutionnaires, je vois des possibilités de compréhension différentes, une fenêtre peut-être pour imaginer des champs d’action nouveaux pour le futur des mouvements de femmes, et d’artistes.

Au milieu des trois milles pages de cette Anthologie de littérature érotique, une perle : « Un mois chez les filles » écrit en 1928 par Maryse Choisy. Voici un extrait, révélateur de sa plume, des moeurs de l’époque ainsi que de la subjectivité évidente infusée dans ce texte – journalistique – : 

« Il est plus difficile de devenir grue que d’être admise au Jockey Club ou dans la Société des gens de lettres. Il est vrai que c’est le plus ancien métier du monde et que de nos jours il mène à tout, à condition d’en sortir jeune.
Pour y entrer il faut être majeure, française, et vierge… de condamnations. Les autres virginités sont facultatives. Il faut produire un acte de naissance, un extrait de casier judiciaire, une autorisation maritale, des paperasses. Il faut avoir une carte qui vous permette officiellement d’échanger des caresses crasseuses contre des billets crasseux. C’est plus compliqué que le mariage ou le divorce. Ça m’a dégoûtée à jamais du courtisanat. C’est l’amour enrégimenté, matriculé, fonctionnarisé. Que de longues histoires pour une si courte chose ! »

Dans ‘Un mois chez les filles’ 1928

Maryse Choisy, quant à elle dans ce livre en prend la place, la forme, la plume et la figure d’une femme qui se dévoile dans ce choix de métier qu’est la prostitution, en livrant cette réalité crue du monde des femmes qui est aussi le monde du sexe, de manière égale, voire encore plus ancrée que pour la majorité des hommes. Journaliste dans une époque ou il fallait se battre pour être une femme de lettres, Choisy livre dans « Un mois chez les filles » un reportage admirable, tant dans l’observation participante que dans l’analyse, fine et profondément humaine. L’ouvrage s’ouvre sur les descriptions des femmes qui attendent leurs tours pour faire l’examen d’entrée dans la maison close. Elle parle de leur tempérament, parfois de leurs traits

Il serait important de transmettre davantage ces textes qui parlent d’un monde qui existe toujours mais qui est plus caché que jamais. Il faut que ces textes traversent les limites de la sphère de l’occulte littérature érotique, inscrits là depuis toujours et pour longtemps encore si rien ne change. Une littérature du corps qui reste reléguée dans la critique et dans les écoles comme un genre de spécialiste, un genre d’enclave qui n’aurait pas sa place dans l’enseignement scolaire mesurément « pudique », laïque, qui-déborde-pas, bref : encore et toujours, conservateur des valeurs de la dé-mo-cra-tie.

Je déplore cette froideur clinique des écoles et des pensées, des institutions littéraires à être toujours aussi bornées sur ce que veulent dire nos livres, nos livres de femmes. Pourquoi n’apprenons-nous pas à réfléchir sur les sexualités à l’école à travers la littérature ? Pourquoi les académiciens n’avouent-pas t’ils tous les jeux d’argent, de pouvoir et de sexe qui se passent dans le monde des livres ? Pourquoi les amis de Gabriel Matzneff  tremblent-ils dans leurs lits froids ? Pourquoi les avocats déjà préparent leurs feuillets secoués de secrets sales comme leur égo brûlé ?

Pour lire sur le travail du sexe et ses implications contemporaines sur le blog Ma lumière Rouge 

Parce que le sexe, cette pulsion, cette violence qui anime et habite l’être humain a fait peur à l’humanité, peur à tel point que l’histoire en est venue à se verrouiller, à inventer des mythes, à interpréter les corps des femmes enceints, à enfermer nos désirs et nos regards d’amour  dans des codes servant les intérêts du diable, du démon, les idées farfelues des sorcières…encore elles…

 Écrire ces mots-là, les mots qui parlent du sexe, du corps, de l’union, de la peau, de l’élan, du pourri et de la haine, de soi et de l’autre dans la froideur de certaines étreintes, forcées ou imposées à soi-même, écrire ces histoires-là, ces rêves-là, aujourd’hui, est-il si différent d’il y a un siècle ?

C’est une pensée qui m’inquiète encore parfois. La poésie, lorsqu’elle vit par impulsion, par nécessité simple, indépendante, lorsqu’elle délivre la pensée  individuelle d’un esprit humain, la poésie est profondément politique. Le sexe, projection, projecteur de notre force vitale, est aussi politique. La douceur elle, je l’espère, ne le sera jamais et c’est cela qui me fait continuer à aimer, les femmes, les hommes, les êtres qui se présentent à moi et qui n’ont pas peur du grand méchant loup.

Le cœur, le corps, le sexe comme le grand fil rouge de ma vie et de ma littérature.

Alizée Pichot

 

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