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FIDES – Focus sur une figure montante du rap queb « Écrire en poésie et en lumière pour libérer les souffrances de mes frères et de mes soeurs »

FIDES un nom à prononcer comme un mantra, un hymne en musique et en poésie.

 Je découvre cette artiste et ses acolytes dans leur studio de Rosemont-Petite-Patrie, situé à l’étage d’une maison de jeunes. C’est un coup de cœur immédiat. Toutes les chansons, au delà d’un rêve d’avenir, sont les fruits d’une renaissance  pour Fides.

En deux sessions d’écoute, chaque titre me pénètre un peu plus,  entre chaque sourire de Fides, se révèle une perle, une artiste dans le cœur, dans la voix et dans les mots, à vif, à feu et à sang. Elle me parle de « lanimal en cage » qui se libère de ces maux de femme en musique, en punchlines inévitablement provocantes, en mots qui coupent, qui fixent en nous une réalité aveuglante : la violence qui s’abat sur les corps des femmes, les silences de nos douleurs collectives, les angles morts des systèmes d’oppressions, l’exploitation sexuelle des jeunes femmes et le non-dit sociétal autour d’une industrie du sexe surpuissante, polluée d’intérêts plus vils les uns que les autres. 

Écoute en exclusivité « Cendrillon » par Fides  – Novembre 2019

(bientôt sur Spotify)

Musique par Kola & Jeff Lauber 

Entre les inspirations 60’s de Jeff  qui me parle des Beatles comme de son amour pour Biggie ou Dubmatique, les beats de Kola inspirés des univers de Dr.Dre, Kanye West, J Dilla ou encore Timberland et de musicalités sans frontières aux vibrations sensuelles et profondes, Fides trouve son équilibre musical en impulsions littéraires. Marquée très jeune par la plume acérée de Nelly Arcan, entre autre, la musique de Fides, ainsi orchestrée fusionne des sonorités 90’s et modernité fracassante.

Les sons, plus percutants les uns que les autres, n’ont rien à envier au premier album du français Nekfeu, aux textes poétiques de Diams, mais surtout, aux grands du rap queb comme Yvon Krévé ou Sans Pression. Dans la lignée des Sarahmée ou Princess Nokia ou encore, si j’ose à la jeune Lauryn Hill, c’est tout en sombre sensualité que la voix et la musicalité de Fides nous donne des frissons. Fides est une force brute, un diamant déjà poli par la vie, prête à briller dans vos oreilles. 

FIDES, un projet, une idée, un flow

Aux côtés de Fides, alter-ego libérateur de Marilou, je rencontre Jeff Lauber, guitariste transfuge au sourire bienveillant et Kola, beatmaker, producteur, créateur d’atmosphères. Sans oublier Cécile Ruellan,  manager badass , qui a plongé dans ce projet comme dans une nouvelle vie. Cécile travaille dans l’ombre  pour garantir le futur succès de Fides sur la scène agitée du rap queb. Ensemble, ces deux combattantes  et leurs musiciens avancent pour dépasser les codes et permettre à toutes et à tous de s’émanciper à travers la force du collectif et de la sororité.  

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Jeff Lauber, Fides, Kola – Photographie par Premisse

Avant de prendre ce nom, Fides,  qui se décrit comme une auteure-Rap-Francophone-Joual Sal, vivait déjà en poésie, en mots, en colère intérieure que l’art seul parvint à apaiser.  D’un univers littéraire sombre « qu’il a fallu assumer », Fides, artiste, émerge pour s’exprimer, pour vivre cette passion du lyrisme et de la musique sans concession. Écrire, chanter, créer, pour survivre, en tant que femme-humain conditionnée. 

Ce conditionnement, c’est celui de ne jamais se sentir « assez ». Ni assez bonne, ni assez sexy, ni assez talentueuse et grande gueule pour faire du rap. Cécile, la première fan de Fides, me parle de cet enjeu spécifique aux femmes passionnées de cette musique-là :

« En écoutant du rap, , on est obligées de fermer les yeux parce qu’on se fait insulter en tant que femme. Avec Fides, je ne suis plus obligée d’être schizophrène car je me retrouve dans le son et dans les textes. J’aurai aimé la découvrir plus jeune, car nous avons besoin de plus de femmes dans le rap pour de nouveaux modèles » Cécile Ruellan

(…)

Féminisme, foi et honneur 

Fides, dans la mythologie romaine, représente la déesse de la bonne foi et de l’honneur. C’est ce que l’on retrouve dans les texte de cette artiste qui nous livre dans sa prose poétique une réflexion qui la suit depuis l’enfance. Vers 18 ans, elle se tatoue ce mot qui lui colle à la peau et qu’elle ne quittera pas.  L’amour du rap commence vers 15 ans pour cette plume de toujours, en même temps que naît en elle un sentiment d’illégitimité.

« Je me disais que je n’avais pas le droit, moi, une petite blanche de Montréal-Est. Puis, à travers l’écriture j’ai découvert que j’avais un style » Fides

Ce style, au delà des mots, est renforcé dans la musique de Fides par un positionnement fort. Quand je lui demande si son projet est féministe, elle me répond un oui franc :  » Je ne comprends pas que ce ne soit pas une évidence pour tout le monde« . En effet, c’est en s’inspirant de son propre parcours de femme sexualisée très jeune que Fides porte sa voix haut et fort. C’est bel et bien dans le fond des paroles de ses chansons que l’on sent les convictions de Fides, à fleur de peau. Consciente des enjeux des violences faites aux femmes, Fides affirme une réalité trop souvent mise sous silence  : la sollicitation des femmes aux travail du sexe, dès le plus jeune âge. En effet, cette réalité apparaît pour la majorité comme une fiction, une fiction qui tue tous les jours, à travers le monde, par milliers.

« Les filles sont seules à gérer ça – l’hypersexualisation – tout le monde le vit, mais personne on ne dit rien (…) Le système joue de la vulnérabilité des jeunes femmes » Fides

Exploitation sexuelle, estime de soi, pouvoir sexuel des femmes : plusieurs thèmes pour un seul combat

Dans  son titre Cendrillon (voir plus haut) , Fides s’adresse non seulement aux jeunes femmes, mais à toutes celles et ceux qui sont prêts à lever sur le voile sur l’un des enjeux les plus sombres de nos sociétés : la banalisation de l’objectification millénaire des corps et des sexes féminins. Pour les jeunes, elle souhaite « apporter une alternative dans les discours dans le rap (…) offrir des textes parfois agressifs, transmis avec douceur et lumière pour offrir un modèle différent. Dire aux jeunes filles : nous sommes les seules à pouvoir nous aimer« .

 

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Photographie par Premisse

Le féminisme de Fides, toujours en construction, se détache d’une vision glamourisée des femmes dans le rap, parfois blingbling, souvent sexualisée à l’extrême. Ces souhaits pour l’avenir, transmis dans ses chansons, prennent la forme de plusieurs objectifs clairs:

« Briser le silence, amener l’inclusion dans l’expérience immédiate. Je crois que le changement global passe par la prise de parole. Il faut donner un accès aux paroles des invisibles. « 

Fides

 

 

Fides, sans parler de poésie, ni d’art, ni de processus créatif, est une guerrillère, une âme debout, armée de mots et de malice. Son travail autour du thème des violences est issu d’une démarche personnelle, d’un travail social avec les jeunes et avec son entourage. Cette question, de la violence, est centrale car c’est là que prennent les racines de sa passion. Un violence dans le non-dits, dans les actes, et dans les contours d’un société ou être femme veut dire être cible. Lors de notre interview, je pousse un peu plus loin notre échange et je demande à Fides ce qu’elle pense de la culture du viol aujourd’hui. Voici sa réponse :

« Il existe une culture dominante de la violence. Dès la puberté, l’univers sexuel sur le web se présente à nous. Quel que soit le milieu social, au-delà des parents, on nous parle de la puissance de cette porte ouverte, de cet accès à la pornographie, à la dépendance aux images sexuelles pour les garçons ET les filles. (…) Cette culture du viol transforme l’intimité en marchandise. Les femmes se sentent coupables de tout et les hommes, jamais assez performants, cherchent à être viril. Une virilité qui vient coïncider avec l’injonction du sexy que vivent les femmes. » Fides

 

FIDES, un quatuor solidaire

C’est avec les autres que Fides créée le mieux, dans l’action d’un groupe en symbiose lié par une volonté commune de ‘faire de la musique« . Au studio, le jour de l’interview, Cécile, Fides et moi attendons les musiciens, Kola et Jeff, dont j’aimerai entendre les visions. Entre Fides et Kola, c’est une connexion de longue date. Ce dernier, interrogé sur le projet me répond :  « On ne fait pas de la musique juste pour la musique. J’aime travailler avec quelqu’un qui est passionné à ce point là. Fides est la meilleure rappeuse que je connaisse, homme ou femme (…) Être ensemble, c’est comme faire partie d’une fratrie, d’un grand amour qui solidifie les relations, ça nous informe sur nos manières d’interagir avec les autres. Avec Fides, j’apprends aussi comment les femmes interagissent dans leur intimité et c’est inspirant.« 

Jeff, pour sa part, lorsque je lui demande de me parler de sororité et de fraternité, , les rassemble, instinctivement : « I don’t separate both, I see us as a group, where Fides empowers all women and herself. » De ces paroles douces, je retiens un lien puissant entre ces trois artistes qui ne se lâchent pas. Écrire, composer, enregistrer, recommencer. Voilà de quoi sont faites les deux journées  hebdomadaires durant lesquelles Cécile, consciencieuse, réalise le travail de fourmi de faire connaître une jeune artiste qui a mille choses à dire et à créer. Cette dernière, impliquée à 100%, me parle aussi de sororité et de projet de femmes. Pour elle,  » Cela va de soi. Le mot sororité est plus récent  dans mon langage. J’ai toujours entendu le fraternité mais je le comprenais au sens de solidarité (car malheureusement les femmes sont habitués au lexique masculin). On le vit tous les jours ici, entre hommes et femmes, on est solidaires« .

« L’écriture et la poésie sont pour moi une évidence »

L’ensemble du projet musical et social de Fides est basé sur une volonté, dans la création, de ne pas reproduire les codes d’oppression du patriarcat, les dépasser pour créer du lien social, inclure les femmes de la rue, mais pas seulement, tous les femmes et les hommes dominés par le système capitaliste patriarcal. Partager de l’amour et des valeurs positives à travers la musique. Je souhaite à Fides, Jeff, Kola et Cécile un succès à la hauteur de leur travail et encore des beaux moments de partage et de création.

Merci de vous êtres confié.es à moi, merci aux lectrices et lecteurs d’avoir pris le temps de lire ce portrait. 

FIDES - Oct 2019 (1)Retrouve Fides sur Instagram, Facebook et sur son site web 

Pour plus de musique de feu, suivez Jeff Lauber et Kola 

 

 

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