Photographie par Kevin Millet
Il pleut des cordes lorsque Ola Volo et moi nous rejoignons dans le Mile-end, à Montréal en un jeudi du mois de mai 2019. Elle et moi sommes impatientes de nous revoir et d’enfin pouvoir parler de ce mur immense qu’elle vient d’achever après deux semaines environ de peinture dans le vent et dans le froid. Je vous présente Ola Volo :
« I want to go all the way to my style »
Ola Volo à propos de sa murale « Walla Volo »
Situé dans le Mile-ex, entre les rails et les lofts d’artistes qui poussent un peu partout dans le quartier, ce mur représente une milestone dans le milieu des muralistes, et ce pour plusieurs raisons. Wallo Volo, d’abord, c’est le plus grand mur peint par une femme au Canada, et le troisième plus grand mur peint à Montréal. Cette initiative, propulsée par le collectif de vêtements Le Cartel clothing, est un moyen pour eux de mettre un pied de plus dans le monde de l’art visuel et public tout autant que d’asseoir une réputation d’entrepreneur.e.s créatifs et concernés par les interactions entre business et arts.
Walla Volo : Voir ici le spot de présentation du mur Ola Volo x Le Cartel
Ola Volo, c’est une peintre, une artiste, une femme sensible, mais c’est aussi une enfant d’immigrants, venus s’installer dans l’Ouest du Canada lorsqu’elle avait 10 ans, quittant par là un régime autoritaire sous le joug de l’URSS. Partie avec sa famille du Kazakhstan direction Vancouver, c’est là-bas qu’elle apprend à s’ouvrir au monde différemment. Apprendre une nouvelle langue, une nouvelle culture, repartir de zéro. Clean Slate.
Peindre ce mur constitue pour elle l’aboutissement d’un parcours artistique évolutif durant lequel elle passe par des phases tantôt de production commandées et de projets plus personnels. Avec le temps et les expériences, elle affine son goût pour des collaborations franches au cœur desquelles la liberté est maître mot. Après avoir participé à des campagnes publicitaires, notamment avec Louis Vuitton, Ola Volo comprend qu’elle cherche autre chose. En termes d’intentions de création, c’est vers l’âge de 28 ans que « The reason and the why shifted ». Pensant aux histoires qu’elle souhaite raconter, elle se demande « Who’s gonna be looking at it ? ». Le public alors, et les femmes particulièrement, viennent se placer en ligne de mire de ses processus d’idéation.
« I felt privileged to paint this wall » me dit-elle lors de notre rendez-vous. En effet, la surface de 15 000 pieds carrés en a fait rêvé plus d’un et c’est elle, Ola, qui s’est trouvée en haut de sa nacelle quinze jours de suite pour appliquer couleurs, lignes et détails à cette oeuvre éminemment personnelle.
Art public ou street art ?
Grande question que se demander qu’est-ce qu’un artiste fait sur les murs ? Du street-art, de l’art urbain, de l’art public, de l’art gratuit ?
Ola Volo répond sans équivoque.
Public Art. Art public
Elle me dit avec les yeux pétillants et un sourire simple, qu’elle estime produire et créer de l’art pour les yeux du public, utiliser d’autres formats (ceux des murs) et d’autres contextes de production (une nacelle et des températures en dessous de 10 degrés).
« Occupying spaces in different ways and create exepriences »
Ensoleillée à l’heure dorée, la murale d’Ola Volo illumine l’horizon de ses couleurs chaudes et de son folkore contemporain. Une femme peintre peinte sur un mur, comme un méta-message essentiel appelant toutes les autres à faire de même. Prendre la rue, les couleurs, les murs, elle s’adresse à tous ceux qui ne savent pas comment briser leurs chaînes et leur chuchote : « Vas-y, toi aussi tu peux le faire! »
L’art public, pour elle, est multidimensionnel. Dans une optique de partager avec les habitants, Ola veut se plonger dans l’esprit des villes, ses cultures mélangées, ses odeurs, ses langues qui se chevauchent et ses symboles. Montréal et Ola nourrissent un lien spécial. Elle y a habité pendant trois ans et me confie avoir une relation particulière avec le quartier du Mile-end duquel elle a arpenté les rues maintes et maintes fois, de jour comme de nuit.
En parlant de symboles, Ola Volo est une artiste qui en use et qui les subvertit selon ses envies. Ce mur exprime bien sont envie d’aller au bout de son style. Alors qu’elle me parle de son mur, elle m’encourage à chercher les détails de sa murale, d’y voir les surprises qu’elle a cachées dans les arabesques et les plumes du grand oiseau de terre au coin supérieur droit de son mur. Pour elle, être sur un mur revient à être sur une scène. Comme lors d’une performance, elle donne le meilleur d’elle-même, fait vibrer ses couleurs et ses désirs en force et en lien avec son histoire et son patrimoine.
« Having fun with the art, looking for curiosity. Suprise, discovery, hidden words. It’s all an experience, an hommage, moment. Overall, it is an understanding of the piece. »
Ola Volo
Une vision des femmes, par une femme, pour les femmes
Bien sûr, je n’ai pas pu m’en empêcher, j’ai parlé avec la muraliste de son rapport aux femmes, aux idées qui visent à améliorer les conditions de vie de ces dernière, mais aussi à développer des visions positives et game-changing. À ce propos, elle se demande, « How far can we go? When you feel the glass ceiling over your head ». Au cours de notre conversation, je comprends qu’Ola, au début de sa carrière et sûrement encore aujourd’hui a dû faire face à des barrières pour la simple et bonne raison d’être une femme. Exister dans ce monde, d’autant plus dans un milieu artistique comme la rue, demande une force de caractère et une motivation transcendant les normes. Ce qu’elle veut devenir, c’est une voix publique dans un espace public. Mettre en valeur les femmes par leur grandeur, leurs forces, à tous les âges, de toutes les formes afin de peu à peu, rétablir la balance des représentations.
Consciente de l’environnement artistique et de l’investissement que son travail représente pour les compagnies avec lesquelles elle collabore et/ou les projets dans lesquels elle s’engage, elle me partage une observation majeure : « Men are rarely challenged to put themselves in women’s shoes. »
La majorité masculine, en nombre et en pouvoir, est en contrôle de la rue, qu’il s’agisse de culture graff ou de culture tout court, ils se doivent de laisser de la place aux femmes, de manière très concrète. Depuis qu’elle a décidé de refuser d’être circonscrite dans sa pratique à cause de son genre, elle développe de plus en plus ses codes en termes d’esthétisme et d’exploration.