Catégories
Journalism Portraits

Nina Bouraoui écrit « Tous les hommes désirent naturellement savoir » : Un récit d’homosexualité, un récit d’amour de l’écriture

Ce livre, je crois, est un livre qui va chercher les « sources », les racines de la violence et du désir homosexuel. Mais ça, je le crois aussi, est l’intention de l’auteure. En filigrane, beaucoup de choses se passent, se chevauchent, les souffles et les retenues de Nina Bouraoui nous bouleversent, ou tout du moins, me bouleversent.

« Tous les hommes désirent naturellement savoir », n’est pas une tentative de chercher les raisons du désir ou bien ses origines, mais plutôt de comprendre en quoi l’incapacité de vivre son désir rend malheureux de l’intérieur.

Elle écrit, « L »écriture ne m’apaise pas, c’est le feu sur le feu ».

Elle dit que l’écriture est souvent violente parce qu’elle répond à la violence. Cette femme insuffle en moi la force de continuer à ne pas me taire. À poursuivre ma vie de femme, la vie d’une femme aimant les femmes, celles qui sont toujours puissantes en toile de fond de mon imaginaire sensuel et amoureux.

La rage et l’écriture, des tentatives d’expression du soi dans les récits organiques qui dépassent la morale, le choix de vivre telle ou telle vie pour satisfaire les yeux extérieurs. Nina Bouraoui a dans ses yeux une lumière qui appelle à ne pas oublier notre part d’ombre. Utiliser nos élans de joie intérieurs pour parler du mal, des maux qui nous font chavirer, perdre pied et douter de nous.

Dans cet ouvrage, elle utilise frontalement le mot « homosexuelle ». De mon côté, je ne pourrai utiliser trop ce mot car il réduit ce que je suis, l’amplitude des questionnements qui m’habitent, en aiment les hommes et les femmes, les êtres, un point c’est tout.

Je me demande encore si souvent ce que je suis. Une femme qui oscille, qui sursaute sans jamais s’installer entre des cuisses ou dans un coeur. Nina, tu aimes les femmes, tu les as aimées dans la douleur et moi aujourd’hui je me sens autant homosexuelle qu’hétérosexuelle mais la bisexualité ne m’accueille pas. Je n’ai que peu écrit clairement sur le sujet. Le roman et la fiction m’amènent à vivre des vies inconnues dans lesquelles enfin, je suis avec les femmes.

Nina parle « d’occuper » son homosexualité après avoir essuyé la violence, le harcèlement, le coming-out forcé. À 18 ans, elle se force à être, à vivre son identité. Elle est la plus jeune dans un bar de femmes à Paris, elle est l’ombre observatrice. Là-bas, elle raconte apprendre son métier d’écrivain en regardant les femmes tenter de s’aimer librement, soi et les autres.

Moi, j’apprend à écrire ce que je suis dans le fantasme de l’écrivaine, celle qui voit, qui comprend à sa manière ce que les autres ignorent ou ne veulent regarder. Mais, s’agissant des femmes, je rêve parmi mes mots, je les aime dans mes rêves, croyant qu’un jour je pourrais les toucher un peu plus qu’une heure.

Écrire sans les femmes serait je crois source d’étouffement. Et si j’étouffe, je n’aurai plus le choix que de sauter, de déchirer les voiles de mon ignorance , je jetterai une lumière forcée sur cette obscure partie de moi. Obscure et sombre pas parce qu’elle est malsaine non, mais parce qu’elle m’est encore méconnue tout simplement.

Écrire l’amour oui, mais où sont les mots que je cherche ? Dans toutes ces histoires que je n’ai pas vécues ? Dans mes nuits, dans mes espoirs, nourris soirée après soirée, dans toutes ces nuits sans fin à songer aux possibilités amoureuses de ma vie future ?

Nina, de sa voix claire et de ses mots précis e rappelle de ne pas lâcher, de ne pas abdiquer à cette hétérosexualité toxique qui ne fait du mal. Comme un piège, une toile d’araignée beaucoup trop collante, beaucoup trop brillante de loin et comme ça, du jour au lendemain se trouver enfermée au milieu de la toile, suffocante, sur le point de mourir, je dois échapper à cette image qui me fait frissonner. 

Alors, vivre et écrire doivent se faire en même temps, dans l’honnêteté de l’esprit et du corps. Nina répète les mots d’une autre « Les femmes sont des archives ». Nous gardons, nous capturons, nous nourrissons en nous tant de souvenirs. Une mémoire immense, des moments d’amour et même d’absence d’amour. Écrits, les instants recueillis des femmes prennent une substance fluide, liquide, issue de notre sang mêlé à nos larmes, semant sur son sillon les graines des générations futures, des mémoires collectives actualisées, émues, ouvertes…

Entre mes deux seins,  mon plexus solaire, ma boussole. À partir de là, des signaux invisibles me font embrasser tantôt des femmes, tantôt des hommes sans raison particulière. Je cherche l’équilibre en moi, par la sensualité, par une réponse réelle à ce désir qui m’anime partout, tout le temps.

Envie d’écrire et envie d’aimer de manière égale. Nina parle de bienveillance et je persiste à aimer écouter les femmes qui écrivent. Je les aime parce que je me reconnais en elles.

« La souffrance devient un abri »

Nina Bouraoui

Lorsque les mots brûlent plus qu’ils ne réparent alors c’est un chemin de croix qui s’entame pour la plume enflammée. Dans la douleur ou dans le désespoir, les mots se colorent d’une noirceur dont il faut se défaire.

À quoi servent réellement les mots que l’on écrit dans l’espoir de se libérer ?Ont-ils un rôle ou seulement une fonction ?

Au moment de la rencontre entre la pensée et la page, nous ignorons trop souvent cette voix au fond de notre tête qui nous inspire l’élan, cette joie simple, si simple, d’écrire. La main devient continuité du corps, suite logique de la pensée en mouvement s’inscrit dans la grande courbe de l’intellect animé. Est-ce le début ou la fin de la boucle ? 

Rédiger les pensées s’apparente-t-il à les terminer ? Écrire est-il la guillotine venant couper la tête de nos idées, mort-nées ? Je ne crois pas. Ce serait trop radical  de qualifier ainsi l’écriture. La somme des moments passés à écrire n’est pas encore assez suffisante pour que je m’inquiète d’un fantôme de l’écriture. Pas encore, c’est trop tôt. Trop tôt pour avoir peur mais je me méfie.

Lors de ces journées où les mots me manquent, je pense à mes rêves, je songe à ces futurs insondables qui m’appellent, à toutes ces portes qui s’ouvrent à moi… Et dans ces moments, je sens que c’est le doute qui fait que je n’écris pas. Ce sont toutes ces questions sans réponses qui immobilisent ma prose. Alors, ma poésie n’est que mentale, au plus de son éphémère les mots apparaissent et me quittent dans un clin d’œil lumineux. Je les vois s’envoler mes mots, je les vois sourire très loin de moi.

Comment comparer ces peurs du fond de soi aux blocages littéraires ? Dans quelle mesure la profusion est-elle jumelle de l’absence ?

Il est possible qu’en retournant les idées mille fois dans la tombe de mon esprit je chercher bel et bien à tuer mes peurs. Dans la quête de l’infinie logorrhée,  que m’apprêtai-je à trouver ? C’est là que se loge l’un des innombrables secrets que les auteurs tentent de sonder au travers du grand trou noir de nos imaginaires ?

Dans l’invention comme dans la description, le hasard est maître du jeu. C’est un pari sur la sortie plus que sur l’arrivée des mots sur la page. Seront-ils assez clairs, assez précis pour être compris par un inconnu lecteur ? Impossible de savoir alors nous réfléchissons encore et encore jusqu’à n’en plus pouvoir. Je m’épuise dans le geste pour ne pas perdre la tête, pour ne pas perdre mes mots dans le flux ininterrompu de ma plume.

Obsession. Désir de penser la même chose, développer une fois de plus la même réflexion. Saisir l’immortalité de soi, surgissante du néant de l’être, sans raison, avec comme seule volonté, d’être.

Écrire alors pour faire vivre les mots, tout simplement. Pour satisfaire un désir charnel d’exister hors de moi-même dans l’encre s’épuisant au delà de mon regard, pour toujours solitaire. S’ouvrir à l’autre, aux autres avec des textes, des idées au vocabulaire et au style qui ne m’appartiennent pas vraiment. Les mots jetés dans l’urgence sur la plage sont comme des orphelins, purs mais vidés d’un passé trop lourd pour eux. Ce passé, c’est le mien.

Je pourrai tenter de remplacer la rondeur de mes mots par une rigueur d’acier. Lettres bâtons et points définitifs pour ne pas trop dévoiler, pour demeurer un peu plus longtemps dans le monde impersonnel. À quoi bon ?

Ne pas glisser vers le nihilisme systématique. Cela semble trop facile presque de se placer du côté du sombre parce que notre nature humaine s’efforce de nous rendre le bonheur difficile. Nous pensons trop. Nous cherchons sans cesse.

Et ce titre à nouveau : « Les hommes désirent naturellement savoir ». Nina Bouraoui X Aristote. Parfois ainsi, entre quelques palabres, nous trouvons des vérités, des sensibles réflexions qui sans effort nous font comprendre des recoins inexplorés de nos univers réciproques. 

À travers les mots des autres je retrouve un peu les miens. Je les enrichis de ces autres poésies, de ces esprits morts ou vivants  qui ne disparaissent jamais tout à fait. Parfois, quand je relis mes textes, je me surprends de ces hommages inconscients que je délivre à toutes ces plumes admirées. Ces femmes et ces hommes dont les écrits m’émeuvent sans cesses, leurs émotions transmises entre les miennes, sous ma peau, sous mes gestes d’écrivaine en herbe. Je me cache parfois sous leurs grands manteaux, me substitue à leurs ombres pour apprendre qui je suis, comment j’écris et comment j’écrirai plus tard lorsque ma plume aura vieilli, lorsqu’elle sera mature, que dis-je, ancienne, poussiéreuse de toutes ces expériences accumulées, avide de s’exprimer en millions d’histoires, milliers de lucioles invisibles, souvenirs de mes amours et de mes amitiés.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s