Ce matin, comme d’autres matin, je me réveille avec la sensation de parler et d’écrire pour rien. Les nouvelles modalités d’accès au contenu sur les réseaux sociaux (INSTAGRAM ET FACEBOOK MAÎTRES DU JEU) font que l’accès à mes textes par un public intéressé est significativement réduit.
Et ça, ça ne veut pas rien dire. Cela signifie qu’un travail médiatique féministe est difficile à tenir sur le long terme, difficile à exercer lorsqu’il est limité à une bulle de personnes, à une bulle d’intéressés alors que le but même de la lutte est de rassembler dans nos rangs des personnes d’horizons et d’opinion différentes.
J’aimerai être une féministe de chaque heure et de chaque minute mais les conditions d’exercice ne me le permettent pas. Je me retrouve si souvent coincée entre la volonté de me battre contre le système en place qui discrimine et l’envie de tout lâcher, de laisser tomber les initiatives et les projets menés de front, en solitaire. Comment faire pour ne pas abandonner ? Pour ne pas oublier qui nous sommes, quel est notre rôle social et la position qui nous est imposée par les codes sociétaux et les conjonctures historiques et économiques ?
Je me pose toutes ces questions en même temps que je re-calibre ma situation. Journaliste indépendante et auteure, je jouis d’une grande liberté d’expression. Femme blanche cis-genre, je ne subis pas de discrimination au faciès et je profite d’une plus grande place de parole dans la société. En écrivant ces mots, je reprends du courage, de la force et de la dignité. Je me souviens que mon travail s’inscrit dans une plus large boucle, que j’ai créé cet espace pour pouvoir donner une parole à autrui, faire s’échanger les perspectives et les idées.
En écrivant ces mots, je me rappelle pourquoi je continue à me lever le matin avec toujours dans un coin de ma tête des moments, des conversations et des observations qui me poussent à ne pas m’arrêter, à continuer à regarder le monde avec espoir et bienveillance. Dans quel but ? Parvenir, pas à pas, dans la co-création, à l’égalité.
Ces derniers temps, j’entends de plus en plus le mot d’équité venir remplacer discrètement celui d’égalité, et cela me rappelle une anecdote que j’ai envie de vous conter : il y a quelques années, alors que je me trouvais dans une fête d’anniversaire à Toulouse, connaissant seulement l’hôte, je me fais interpeller comme étant « LA féministe » de la soirée. À un moment donné, deux jeunes femmes, étudiantes de première année en études de droit viennent à moi avec la prémisse suivant : « Pourquoi se borner à imposer l’égalité hommes-femmes lorsqu’on peut encourager l’équité partout ? » Cette question, posée dans une intention de provocation, a eu l’effet escompté. Au premier abord, je fus surprise de la question parce que j’étais bloquée dans ma vision égalitariste. Depuis le temps a passé et mes réflexions ont évolué. Je raconte cette anecdote parce qu’il me semble qu’aujourd’hui, l’idée d’égalité dans le combat féministe se perd un peu, au profit d’un désir d’équité inabouti, ancré et nourri dans l’illusion de réels changement sociaux, institutionnels et gouvernementaux.
Mon point ici est alors qu’il est essentiel de ne pas séparer ces deux notions. Équité et égalité, dans mon esprit enflammé ne peuvent exister l’un sans l’autre. Cela dit, je crois fermement que même les luttes sociales les plus acharnées et ayant prouvé leur efficacité dans les communautés, sans réel réception et action juridique, restent limitées dans une vision plus globale.
Comment, sans l’appui et l’écoute des responsables politiques (ayant pour vision claire l’égalité) pouvons-nous faire valoir les initiatives et les projets équitables ? Comment, sans légiférer, pouvons faire de ces idées politiques et sociales des réalités de société ? Comment pouvons-nous, sans l’appui des lois, mettre en porte-à-faux et dénoncer des crimes et des délits anti-égalité ?
Sexisme, racisme, homophobie, capacitisme et classisme sont présents dans les vies de millions d’être humains chaque jour, tous vivants et forts protégés par le grand spectre d’un ultra-libéralisme surpuissant.
Décider d’agir pour réduire les impacts négatifs de ces systèmes de pensées, ces violences et ces inégalités n’est pas une partie de plaisir, c’est un engagement auprès de personnes différentes de nous, qui présentent des spécificités et des expériences que nous nous devons d’écouter et de partager, en se remettant constamment en question. Les milieux activistes (selon ma connaissance) sont des viviers d’humanités, de solidarités, de joie et de partage mais sont aussi des lieux dans lesquels les souffrances s’expriment, les différents degrés de la précarité s’incarnent non plus dans des chiffres mais dans des familles ayant de la difficulté à se nourrir, à des femmes vivant dans la violence, à des personnes homosexuelles se faisant agresser, à des personnes subissant le racisme ordinaire depuis des générations. Les espaces communautaires permettent de faire se rencontrer des citoyens qui œuvrent pour une égalité au travers d’une équité réelle, réalisée par la concertation et l’écoute des communautés et populations concernées par des mécanismes oppressifs systémiques.
Pour revenir maintenant aux mouvements féministes, je crois que ce manque de volonté qui parfois m’assaille est lié au fait que je vois sur internet une réalité qui est diamétralement opposée à un travail social visant à l’égalité. Je vois un univers esthétique et social mettant en valeur les idées pro-féministes, la parole de plus en plus partagée mais aussi un individualisme croissant et un recul vis à vis du don de soi dans le monde réel. On veut bien soutenir les mouvements féministes, LGBTQ+ ou encore antiraciste, écologiste ou anticapitaliste en ligne, mais de là à s’exprimer ou à se renseigner, c’est tout un pas à faire.
Loin de moi l’idée de blâmer quiconque, mais plutôt l’intention explicite de vous dire : les questions que vous vous posez, si elles sont là et qu’elles vous perturbent, qu’elles vous mettent mal à l’aise sont souvent les bonnes questions. Si une forme de culpabilité parfois vous assaille, c’est sûrement parce que d’une manière ou d’une autre vous participez à la perpétuation de certaines normes ou de certains codes qui ne font pas du bien mais ralentissent des processus de changement en cours. Si vous vous posez des questions, posez les à haute voix à des personnes qui peuvent vous répondre. Malheureusement, et ce serait bien plus rigolo, nous ne pouvons pas nous contenter de rassemblements virtuels autour de thèmes ou de grands discours, nous devons nous rassembler dans la vie, même localement, entre amis, et parler de ces choses-là.
Je sais pertinemment que mes mots ne toucheront pas tout le monde, c’est ainsi, je l’accepte. Mais je sais aussi qu’ils sauront faire bouger quelques pensées chez celles et ceux qui déjà sentent en eux un désir de combattre l’injustice. Être féministe, c’est penser, agir, pour soi et pour les autres. L’étiquette n’est pas toujours facile à porter je le concède, mais pour ma part, elle m’aide à m’affirmer dans le quotidien, à regarder le monde avec mes lunettes de femme et d’humaine, voir un monde qui parfois me met en colère et m’attriste profondément.
Fierté nécessaire
De se sentir femme
Pour ne pas défaillir.
Fierté obligatoire
De regarder droit dans les yeux
Les horreurs
Commises
Contre nous toutes.
Aveuglement prospère,
De ceux qui ignorent
La tête dans le sable
Les mains enchaînées,
Dans leurs dos, tatoués d’ignorance
Ou de déni.
Je pleure
Souvent
Mais je relève la tête,
M’abreuve d’espoir
De ces vies qui chantent leur beauté
Entre des planches de bois,
Entre des pleurs d’enfants
Soumis aux systèmes,
Aux erreurs du passé.
Fierté de les voir
D’avoir les yeux ouverts,
Fierté de vivre
Consciemment,
Non pour moi-même
Mais pour la liberté.