La nuit dernière je fus tenue éveillée par une insomnie que je connais bien. Quoique épuisante, ce genre de privation de sommeil est profondément ancrée dans une ambiance créative. Agrémentées d’un zeste de canabis et ces nuits-là deviennent des odes à la curiosité, une ouverture à la découverte qui ne s’épanouit ainsi que dans le noir et le silence d’une maison endormie.
Alors, dans les fumées bleutées d’un joint tardif, j’ère sur internet, dans les réseaux plus ou moins obscure de la relève musicale et des nouvelles tendances vidéos sur Youtube.
Et là, vers 2h30 du matin, je tombe sur cette vidéo (juste en dessous) sur la chaîne de Vanity Fair US, qui met en scène la jeune artiste Billie Eilish, répondant aux mêmes question à un an d’intervalle. Format curieux, me dis-je à première vue. C’est particulier d’être confronté à sa propre pensée à peine 365 jours plus tard. Pour le commun des mortels pas tant que ça me direz vous, mais là, ce n’est pas n’importe qui. Billie Eilish, c’est une auteure-compositrice, performeuse née en 2001 à Los Angeles.
A peine un an et demi après le succès de son premier EP Don’t Smile at Me, cette dernière rassemble un public massif qui la suit de son fief californien jusqu’au Japon et les stades de Tokyo. A seize ans, Billie rassemble plus de 7 millions d’abonnés sur un Instagram. Ce double interview du magazine américain nous montre une jeune fille qui ne sait pas « what the fuck is going on » dans une industrie de la musique américaine qui couronne et couvre d’argent les self-made pépites en les menant sur des chemins bien plus tumultueux que ceux que la plupart des adolescents sont capables d’encaisser.
Si l’on observe de près le parcours médiatique et artistique de Billie Eilish, il y a tout. Tous les codes, les enchaînements logiques et passionnés hérités des évolutions et des succès des cultures digitales et artistiques des dix derniers années. Youtube, instagram, Hollywood, industrie musicale, show-business, social media strategies, politique, USA, 2018 #metoo, culture teen, feminisme, ajndreofwhbrew. C’est le combo parfait pour être en top tendance sur twitter, plateforme sur laquelle Billie partage ses pensées avec une grande générosité.
Avant même d’avoir écouté sa musique je suis interpellée par la clairvoyance de son discours mais aussi par le témoignage d’une tristesse équivoque. À l’équipe de Vanity Fair elle confie dans un soupir des yeux et de la voix évoluer dans ce monde de la musique parmi des être tristes, qu’elles surnomment affectueusement comme sa gang de « sad motherfuckers« . Dans sa façon de parler, on sent déjà qu’elle est autant désabusée, dépassée par le phénomène qu’elle incarne, qu’enthousiaste à l’idée de rassembler le public, d’animer des foules qui sont allées jusqu’à 40 000 personnes.
Il est grand temps alors d’écouter ce que Billie Eilish propose, elle et ce corps qui paraît jeune et des yeux qui parlent d’une souffrance bien réelle encore, organique. Je m’attendais à écouter une nouvelle icône du hip-hop ou encore une voix de la nouvelle vague électro-Rnb California-Style. Eh oui, les préjugés ont la dent dure. Comment vous témoigner ma surprise quand j’entends Billie chanter puissamment des émotions qu’on connaît douloureuses. Elle conte des histoires de tristesse et d’incompréhension avec l’âme d’une enfant qui veut sortir de sa cage. Billie, en plus d’être branchée sur les ondes du web comme une pro, est une voix, un coffre surprenant.
Cette chanson, idontwannabeyouanymore, rend assez bien compte du mood global de l’univers artistique de cette jeune prodige. J’ai beau eu cherche, je n’ai pas trouvé de chanson dite « joyeuse ». D’autres diront qu’on en a bien assez de la fausse joie dans la musique mais je ne suis pas d’accord. C’est tout de même intriguant qu’une jeune femme de 16 ans remplisse des stades en chantant sa misère. Cela nous indique en un sens que cette ligne qu’elle touche, cette vibration particulière de la souffrance et de la tristesse résonne avec les jeunes de son âge. Ce n’est pas nouveau de voir des artistes de la musique connaître un énorme succès en romantisant et glorifiant l’état dépressif. C’est commun peut-être mais ça me fait réfléchir. L’évolution progressive de Billie nous montrera dans quel mesure le partage de ces émotions-là à une échelle aussi gigantesque s’inscrit dans une logique continue ou dans une rupture vis à vis des générations précédentes.
Extrait de la chanson : Ocean Eyes
I’ve been watchin’ you for some time
Can’t stop staring at those ocean eyes
Burning cities and napalm skies
Fifteen flares inside those ocean eyes
Your ocean eyes[Chorus]
No fair
You really know how to make me cry
When you give me those ocean eyes
I’m scared
I’ve never fallen from quite this high
Falling into your ocean eyes
Those ocean eyes
Dans la précision de ses textes, son interprétation et sa posture en contradiction avec une idée de la pop star véhiculée à Hollywood, Billie est elle-même, elle ne sait pas trop qui, pas trop comment. Elle représente une jeunesse américaine en opposition à tout un tas de normes so 20ème siècle. C’est une enfant du futur qui parle haut et forte de la réalité de sa vie, elle assume l’amour sans peur du ridicule, elle parle des abus qu’elle a vécu plus jeune et surtout, elle joue le jeu.
Sous la déferlante du succès, Billie est une fonceuse, elle prend d’assaut les plateforme et navigue avec les mêmes plateformes que ses fans. Le nombre de vidéos la concernant sur Google plafonne à plus 16 millions. Interviews, cover de ses titres et vidéos TAG sur Youtube illustrent l’ampleur et la nature du phénomène. Dans la vidéo ci-dessous de la chaîne populaire FBE reacts qui a rendu magistralement connu le format « Teens react to« , on est confronté à la fermeture et l’ouverture simultanée d’une boucle médiatique. Billie, dès l’introduction, affirme avec zèle qu’elle adore cette chaîne dont elle a consommé le contenu. On est presque dans une situation de méta communication ou le plaisir du visionnement est issu autant de la familiarité avec ce format et l’esprit des fans qui transperce l’écran.
Cette imbrication des succès artistiques avec des succès industriels et capitalisés globalement nous rend un tableau mitigé de la réalité de notre monde. D’un côté, il est de plus en plus accessibles de devenir visible et reconnu pour son art ou son travail, et ce de plus en plus en jeune. D’un autre côté, l’exposition de sa vie privée et l’implication du personnel dans un tel chemin prend des proportions hallucinantes. Une chanteuse de 16 ans ne peut plus aller à la pharmacie sans être reconnue, elle est menacée en ligne par des milliers d’internaute, mais, elle connaît les plus grand. Je sens une forme de déséquilibre qui va de pair avec une culture de l’image grandissante, avec de plus en plus de pouvoir, et de plus en plus d’argent.
Voilà je m’interroge, je pense, je m’inquiète un peu parfois mais je garde espoir en entendant et en sentant la jeunesse mondiale s’éveiller comme une grande vague de conscience. On lâche rien !!
Une réponse sur « Billie Eilish : phénomène-symbole d’une génération tourmentée et artistique »
J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte et blog très intéressant. Je reviendrai m’y poser. N’hésitez pas à visiter mon univers. Au plaisir.
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