Catégories
Interviews Journalism

Romy Alizée : un ouragan d’audace dans l’art de représenter ce qui doit rester caché

Nom cinématographique pour femme bien réelle, en chair, en images, derrière l’image, sensible, rebelle, en forces et en faiblesses, vivante, intelligente et un peu magique, Romy Alizée est un électron libre, en développement constant.

Je ne sais pas comment entamer ma présentation de Romy parce que j’aimerai que ce soit elle qui se présente. Lorsque nous nous sommes rencontrées via Skype, je lui ai parlé instinctivement de la dénomination de « Femme Chienne » qu’elle s’est auto-attribuée.

Non pas que je souhaite renforcer les stéréotypes de la salope mais damn ça m’a fait du bien de pouvoir parler de ça naturellement avec une autre femme. Il y a deux ans j’avais déjà écrit un article sur PEACH pour aborder la question de la saloperie autoproclamée : c’est comme dire je suis une salope, j’aime ça et j’assume. Pour Romy, « le fait que ce soit lié à mon travail maintenant ça légitimise, ça crée une distance, ça protège ». Le fait de se dire femme-chienne c’est aussi un moyen de se réapproprier une insulte. Revenant sur un passif de « salope au premier degré », la créative Romy affirme que les perceptions « de la pute, de la traînée et tous ces noms-là sont en fait issus de l’imaginaire, du fantasme total ».

Ça commence fort cet article comme a commencé fort mon entrevue avec Romy. Deux écrans entre nous mais une aise naturelle. J’ai le sentiment d’être face à une femme sûre d’elle, dans son travail et dans les divers aspects qui font qu’elle est ce qu’elle est. Des yeux francs et un sourire spontané.

Photographie et sexualité, à l’interaction d’un spectre complexe et poétique

Romy Alizée est une photographe française, installée à Paris depuis bientôt dix ans, elle gravite dans le monde de la photo depuis longtemps, d’abord modèle puis pour passer tout en douceur vers la réalisation de ses propres projets photographiques. Au début 2018, son premier livre, FURIE est publié aux éditions Maria Inc. 

A force d’être interrogée systématiquement sur les raisons de sa direction artistique et un délaissement de l’activité de modèle, Romy s’insurge un peu et remet les pendules à l’heure :

« J’étais pas victime, j’étais dans un rôle et je me suis donnée les moyens d’aller dans un autre rôle, plus actif ».

furie

Cet ouvrage est un recueil photographique impressionnant de justesse  qui challenge les normes de l’art érotique aux frontières avec la pornographie toujours un peu floues. C’est une question qui pour est trop souvent posée. « Moi je me fous de cette question, ça impliquerait qu’il y a des formes honnêtes et d’autres non ». Le porno a toujours une mauvaise réputation dans l’Art, et il ne serait pas question d’exposer du porn dans une galerie, ça serait un peu trop politiquement incorrect. Pour Romy Alizée, mettre l’accent sur une telle dichotomie est un symptôme de la prévalence encore actuelle de ces débats d’élite ancestraux.

Furie s’insère selon moi dans un courant artistique visant à déconstruire des stéréotypes sur les représentations des sexualités mais aussi d’une réappropriation de l’univers féminin par les femmes. Féministe elle l’est, avec des positions pro-sex et pro-porn, elle porte haut le flambeau d’un épanouissement individuel et subversif, résolument queer. Le féminisme de Romy s’est inséré naturellement dans son travail. Ses réflexions quotidiennes ont imprégné son regard sans avoir comme objectif de réaliser un travail exclusivement féminin ou féministe. Ceci dit, elle accepte une réalité occidentale où « les femmes qui photographient des femmes ça marche bien parce que le féminisme c’est mainstream ».  

La queerness de Romy s’inscrit aussi dans une volonté de briser les normes de la binarité. En ce sens, limiter son travail  à un travail féminin est une diversion pour ne pas regarder droit dans la franchise des images et leur subversion. Romy propose (et non impose) un « imaginaire du sexy avec des femmes parfois qui ne se sentent pas sexy (…) et j’aime à les aider à se sentir bien, à leur manière ».

Une perspective nouvelle vers une re-définition des normes de genre 

Quand Romy Alizée s’exprime sur les objectifs de ses projets, un constat revient en force : il est essentiel de s’emparer de status quo artistiques (comme les représentations sexualisées des femmes) pour les transgresser, pour produire des artefacts qui vont venir bousculer, mettre un gros coup dans les habitudes des professionnels. Il est vrai que traditionnellement, la photo érotique fut longtemps l’apanage des hommes, d’hommes qui aimaient (et aiment toujours) les femmes en oubliant parfois qu’elles sont bien d’autres choses.  Mais il existe aussi un juste milieu dans cette lutte simpliste entre les gentils et les méchants. Romy me parle du photographe français Gilles Berquet pour qui elle a posé, avec plaisir et enthousiasme. Elle m’explique que sur les shootings avec lui, « sa femme est là, ça change complètement la donne», c’est aussi par cela que s’établissent de nouvelles normes de confiances.

Romy me fait penser à nombre de ces femmes qui à un moment donné ont décidé de briser les fils qui les rattachaient à des systèmes de pensée ou de représentation limitants. Comme Lee Miller, qui fut la muse de Man Ray, Romy s’est emparée de la caméra pour construire et développer son monde avec un œil sensible et nécessaire. Comme Anaïs Nin planquée dans l’ombre des hommes de sa vie jusqu’à ce qu’elle se révèle au public comme une pionnière dans l’art érotique et une littérature qualifiée et définie comme  féminine. Comme Annie Leibowitz et Susan Sontag, Romy Alizée explore les limites de l’hétéronormativité et ne s’y arrête pas, elle continue à dessiner la route de sa créativité pour s’en aller dans des recoins peu documentés et encore plus rarement par des femmes.

Art érotico-porno théatral : mise en scène d’un féminisme libre et indépendant

 

44032475_1159544327533856_691891417177391104_n

Dans la série de photo mise en scène dans Furie, Romy Alizée, accompagnée de modèles décadents, uniques et sexuellement papillonnants, propose quelque chose de nouveau : elle met en scène les êtres humains et une conception du mobilier comme une forme de fusion avec la forme, avec le tout quotidien, une adaptation de l’être et de ses désirs dans son environnement. C’est une interprétation certes, mais c’est tout autant une représentation de ce qui est en train de se passer pour beaucoup d’entre nous : une ouverture encore plus grande des pratiques sexuelles et des discours sur ces dernières. Avec Romy, finis les discours prémâchés sur le BDSM ou sur la libération des mœurs. Non, avec Romy, on est dans l’action et l’expérimentation. Dans ses explorations artistiques, elle va chercher des zones qui l’intéressent, qui l’excitent, qui la chatouillent là en bas ou tout se passe.

Le travail de Romy c’est presque un statement en soi, une manière de dire haut et fort, sans honte:  le sexe est là, en nous, palpitant et mystérieux. Autant d’êtres que de pratiques, autant de gestes que de désirs. J’admire chez elle une forme de naïveté qui n’est pas de l’ignorance au contraire, c’est le mélange lucide d’une connaissance de certaines réalités et de la décision de s’en ficher, de continuer à développer des imaginaires pour faire avancer un état des choses (le fameux système d’oppression de la domination hétéro-patriarcale) en levant bien haut le fanion de la diversité et de l’égalité, par l’art, grâce à l’art.

Romy Alizée ou un travail réflexif sur l’éthique dans les représentations des corps et des sexualités 

Comme le dit très joliment sa bio instagrammée, Romy, en plus de sa pratique photographique, figure aussi dans des films pour adultes.  Les questions d’éthiques dans le monde de l’image érotique et dans l’industrie de la pornographie sont délicates, inconnues et pas assez transparentes à mes yeux. Mes questions alors se concentrent sur une niche de cette industrie : le porno féministe.

Un article de Jezebel écrit par Tracy Clark-Flory dénonce les attitudes laxistes de la réalisatrice française Olympe de G. sur plusieurs tournages produit par Erika Lust.  C’est grâce au performeur et artiste Rooster Ray que les informations ont pu sortir à la lumière au prix d’une isolation et d’une incrédulité de la part d’un grand nombre de professionnels du milieu. Sur la plateforme MEDIUM le témoignage documenté du performeur est censuré à plusieurs reprises. Dans cet extrait fourni par ma source, il partage avec justesse et précision sur les racines et les solutions à cet enjeu majeur :

What do you think when Ethical porn or Feminist porn comes to mind?

The one thing that underpins ethical, feminist porn is CONSENT!

Consent can’t be won or gained by coercion, by tricking your performers, by springing a surprise on them, by guilting, ignoring and/or « pushing » their personal boundaries. Think about the « ethical » porn you consume. Listen to the experiences of performers & sex workers.

Directors, producers & production companies please hand over the mic, instead of speaking on « behalf » of performers & sex workers.

Dans son article, Tracy Clark-Flory formule l’importance d’une éthique approfondie et définie selon les souhaits de la communauté :

« The question of just what it means to make ethical or feminist porn does not have any single answer. “Ethical porn is whatever porn fits your personal system of values and ethics, and they are subjective, person to person,” said Vex Ashley, the creator of Four Chambers, an indie porn company with a reputation among performers for being feminist and ethical, but that does not actively market itself as such. “There are no general[ly] accepted specifics, there’s no naughty or nice list. »

C’est la raison pour laquelle j’ai voulu parler avec Romy de cette notion d’éthique essentielle dans cette industrie et plus simplement, dans un rapport  au  corps ainsi que du regard sur le corps.

Elle me raconte que sur un tournage elle avait précisé ne vouloir aucune relation hétérosexuelle, simulée ou non. Son personnage est une jeune fille assez timide, amoureuse d’une femme. Aucune raison donc de se retrouver face au pénis. Overall, ce genre d’évènement ne ternit pas forcément l’ensemble de la performance. Romy me confie un souvenir plein de joie, qu’elle retient comme une expérience incroyable.

Et bien si, au milieu de la scène, caméra en marche et toute l’équipe sur le plateau, elle se retrouve « avec la bite de l’acteur sur son épaule ». Cette bite, en soi, n’avait rien à faire là. Elle rapporte le méfait à la productrice qui fait son mea culpa mais la réflexion ne s’arrête pas là. Pour Romy, ce pénis non-désiré constitue « la domination masculine proprement illustrée, inconsciente du mal qu’elle provoque ». Un homme qui s’est senti libre de poser sa bite sur une épaule, brisant de facto les limites d’un contrat de consentement officiel(matériel et moral). Elle ajoute avec détermination que oui, sur un tournage « la bite c’est politique ».

Par la suite Romy a tourné  dans le sucré Tease Cake pour  Poppy Sanchez à Berlin, puis le film Blow Away avec la réalisatrice Anoushka en France. La suite des projets paraît aussi brillante que le chemin déjà parcouru.

Des solutions pour parer aux lacunes d’une industrie en changement

Romy partage avec moi son expérience pour soulever un point majeur trop peu considéré dans les conversations sur l’éthique dans le porno : « il faut faire un méga-suivi post tournage, débriefer sur les performances, les malaises et les réussites de chacun ». Ici, elle parle en tant que réalisatrice, en tant qu’œil derrière la caméra. Un constat s’impose à elle :

« Il faudrait toujours qu’il y ait quelqu’un qui aie un œil sur les performeurs, tout le temps. Quelqu’un d’empathique ». L’idée d’une telle attention constante aiderai à combler le besoin de parer et d’éviter les brèches au consentement. Ces dernières sont encore trop présentes sur des tournages qui se protègent derrière l’étiquette sacro-sainte du féminisme.

Pour Romy Alizée, « la vague du porno féministe a donné envie a plein de jeunes filles de faire du porno, de faire du sex-work, sans du tout réfléchir à ce que ça représentait ». En effet, il est majeur de ne pas perdre de vue les implications psychologiques, émotionnelles et physiques que cette profession implique. Nous voyons une tendance visible sur les médias sociaux d’une course à l’apparence, d’une mise en valeur des corps féminins et d’une réappropriation de ceux-ci par la mise en image scénarisée du corps, nu et sexualisé. La créatrice de Furie met en garde la communauté pour un meilleur accueil des performeur.euses amateurs et amatrices sous la forme d’une recommandation. Il faut, dit-elle« laisser un espace libre pour permettre à la personne de développer quelque chose, discuter de ses choix. Faire attention aux personnes fragiles, instables, en proie au regret ».

Qu’on le veuille ou non, le porno, c’est un business à millions de dollars, les modes de fonctionnement des compagnies qui composent cette industrie sont majoritairement capitalistes, et comme presque toutes les entités néo-libérales, le facteur humain n’est souvent qu’un capital, remplaçable et temporaire. Grâce à Romy Alizée et bien d’autres, nous voyons se dessiner une courbe nouvelle, pleine d’espoir pour un renouvellement des conceptions de la pornographie, d’un art qui touche aux corps, aux désirs, aux réflexions féministes et plus encore. Une conception moins idéologique qu’humaine, plus dans le rêve que dans le fantasme, résolument contemporaine.

Pour la suite des projets, Romy se prépare à tourner un court métrage  porno ambiance fisting club pour Shu Lea Cheang à Berlin. Pour les curieux et curieuses et pour les connaisseurs, voici un lien vers CrashpPad’s guide to fisting, un film nominé aux Feminist Porn Awards de Toronto en 2015, petite intro au fisting dans un tout autre style.

En ce moment, Romy travail sur un projet photo  mettant en valeur les travailleuses du sexe. Voici sa présentation :

Sexwork is work. J’ai lu, vu et entendu cette phrase des dizaines de fois.
Depuis 2015, l’année où j’ai tourné mon premier film porno, je n’ai cessé de croiser sur mon chemin des travailleuses du sexe. Toutes avaient en commun d’être intelligentes, drôles, autonomes et libres. Plus je me rapprochais de certaines, moins je comprenais qu’on puisse encore avoir cette image fantasmée de « la pute », à savoir celle d’une victime, d’une femme à sauver. En réalité, cette image existe parce qu’on ne laisse aucune chance aux putes de s’exprimer et de montrer qui elles sont, comment elles travaillent et ce qui les attache fièrement à leur métier. Il y a quelques mois, alors que je commençais à tourner davantage de films X, j’ai eu envie de commencer un vrai travail photographique sur le sexwork. J’ai réfléchi à ce que je voudrais qu’on puisse voir de nous, travailleuses du sexe. Sur nos lieux de travail ou dans l’intimité, j’ai donc commencé à photographier ce qui fait la beauté, la folie, l’absurdité et la puissance de nos vies de putes, en me glissant parfois dans l’image pour sublimer ces histoires qui nous réunissent.

J’aime l’idée de finir sur un appel de Romy à la communauté, aux lecteurs et lectrices, à ceux qui aiment le porn, qui respectent les travailleurs et travailleuses du sexe, et qui eux aussi, ont envie de créer des belles choses ensemble, pour l’avenir.

ICI vous pouvez explorer le travail de Romy et pourquoi pas acheter ses œuvres, car comme on dit « plaisir d’offrir, joie de recevoir » (ça marche aussi pour le cul !).

 

6 réponses sur « Romy Alizée : un ouragan d’audace dans l’art de représenter ce qui doit rester caché »

‘L’art de représenter ce qui doit être caché ». La blague. Le porno, le cul on en bouffe à toutes les sauces, 1000 catégories existent et on y a accès. Ca démarche est juste banal dans ce monde, rien de neuf à l’horizon.

J’aime

Bonjour Arnaud. Je ne suis pas d’accord avec toi. La démarche de Romy est innovante dans la mesure ou son regard vient casser des codes de perception des sexualités et de représentation. Par ailleurs, sa position queer féministe pro-sexe est un champ de pratique qui est, en substance et en economie, en contraste avec le porno mainstream. Je te conseille d’aller te renseigner.

J’aime

sa position queer féministe pro-sexe est justement une position très à la mode et bien mise en avant sur les internets. Et justement ses photos n’intéresse que que les gens de son milieux donc pour le message et l’ouverture on repassera. La meuf de la manif pour tous ne se questionnera pas puisqu’elle ne verra même pas cette photo. C’est de l’entre soit et on veut appeler ça du militantisme. Non. Enlevez le nudité des photos il n’en reste rien. La nudité aujourd’hui est mainstream. Se prendre en photo argentique à poil avec des gens aux cheveux verts et avec des poils à la chatte, c’est le summum du politiquement correct de cette génération 20/30 ans. Un cliché en somme.

La pornographie est très large, avez vous déjà été sur un site porno?? On y trouve des grosses, des vieilles, des poilues, des jeunettes de 20 ans, des intellos, des tattouées, des mères de familles, des petits vieux avec des petites queue. On a accès à environ 1000000000 d’images et de vidéos.

Ca c’est pour le porno.

Pour l’art….. et bien tout ce qui est montré par cette Romy, pardon je l’ai déjà vu : les mêmes poses, les mêmes traitement argentiques, les mêmes types de model « non mainstream », les mêmes fetish etc. Bref, rien de neuf à l’horizon, ou alors ouvrez les livres d’arts erotiques/porno de ces 40 dernières années, vous serez surpris.

J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s