États d’âme (We’re all in this together) de Josiane Ménard est un livre femme, livre fleuve des fluides de celles qui coulent sans cesse, dans lequel les larmes sont aussi des baumes aux plus grandes des blessures.
La plume est adroite, choisissant sa langue au gré des intentions. Soudain, la langue anglaise et ses virages directs ne le sont plus tant que ça. Josiane Ménard, en choisissant de mêler les deux idiomes qu’on oppose encore souvent, nous rend un exposé d’une vie dans les deux langues, de pensées mélangées, caractéristiques d’une enfance au Québec, où le mélange fait partie du paysage.
Deux langues pour exprimer un chemin commençant par la chute, vers la reconstruction, puis la guérison : Falling\Work in progress\Healing sont les trois segments de l’ouvrage, posant un rythme éminément humain sur ce riche travail littéraire.
Ce recueil personnifie un lien évident avec la littérature. En le lisant, j’imagine une Josiane plus jeune, lisant, apprenant, aimant à travers des textes dont certains sont certainement distillés un peu dans cette première oeuvre marquante, un premier voyage dans le métier de l’écriture, dans lequel le lien avec les maîtres penseurs ne se fait nulle part aussi fort que dans nos imaginaires, et dans nos textes, à peine silencieusement.
On croise dans ce morceau de poésie contemporaine des références comme Kundera avec une forme de relativité philosphique qui nous laisse sans voix, à la limite de dire « mais oui, mais oui, c’est ça ». Elle s’approprie les mots, les subversifiant au gré des besoins de la littérature et des émotions avenantes.
États d’âme est construit selon un savant mélange de poèmes et d’extraits de journaux, datés, non datés. Pour les amateurs de textes confessionnaux, celui-ci est une pépite. Le choix des extraits de journaux nous ramène à nos réalités intangibles, mouvantes et éphémères. La lucidité et la sensibilités avec laquelle le journal est écrit révèle le souhait d’une compréhension qui va au-delà du soi, qui cherche à comprendre les racines d’un mal plus grand qu’elle. Lors de la lecture, on y ressent de la puissance, de la fragilité, une honnêteté désarmante, et ce que je nommerai une forme de « femme-ité » pour ne pas utiliser le mot-valise « féminité », qui associé à ce texte, ne voudrait pas dire grand chose.
En effet, Josiane reconnaît les autres femmes, elle ne vit pas loin d’elles mais les voit vivre et les comprend. Le poème « Prayer for a black woman » deviendra je l’espère un emblème, un texte de vision, celle d’une et de millions, formant, comme à l’origine, une unité, multiple, colorée, aimante et, comme les mots de Josiane le déclâment si bien : dark, light, shy, smart, friendly, flawed, angry, loud, scared, brave, you, all, safe.
Si l’on aime à parler littérature, alors parlons de rigueur poétique, de structure et droiture dans l’alignement des mots, de grande netteté dans l’arrangement du reccueil, mais aussi de liberté visible dans le message, dans la poésie en soi, une poésie de l’être intérieur, avec des maux et des mots qui ne demandent qu’à s’envoler.
États d’âme est un premier recueil magistral, simple, limpide, d’une universalité non pas fantasmatique mais réelle et nécessaire. Le vocabulaire de la souffrance et de la perdition au début du reccueil n’assombrisent pas sa poésie car ils s’accouplent gracieusement à un lexique du temps de pause, du rêve pour ne pas se noyer.
Au fur et à mesure que nous avançons dans la chronologie du livre, les mots se évoluent pour former presque, malgré l’individualité des poèmes, une lettre à elle-même. Il semble que les textes furent des refuges dans l’adversité pour devenir des postulats, des déclarations d’amour pour soi. Le poème « Love » que je vous laisserai découvrir, illustre l’accomplissement atteint grâce à une écriture mélée à la vie vécue. On y décèle un sentiment de lumière retrouvé, éclairant, tout, partout, jusqu’à laisser un arrière goût de soleil chez la lectrice impressionée.
Pour finir, c’est un livre d’amour à la sentimentalité repliée sur soi, parce que c’est là que le besoin d’aimer existe. Un chemin du moi vers le moi, passant par les autres et leur éclat pour mieux se révéler à eux et distribuer les fluides de beauté et de sentiments sur une foule de lecteurs avides, assoiffés encore après la dernière section « Healing » qui aurait tout autant pu se nommer « lumière » ou encore « Réveil ».
De moi émerge l’instinct d’écrire sur cette poésie dans laquelle ma plume s’éveille elle aussi, réflexe de manifester le lien, visible et invisible en même temps.
Josiane Ménard, à travers ce texte, rend hommage aux femmes ayant écrit avant elles et participe à transformer les lettres de noblesse de la littérature, rajoutant un blason de reconnaissance aux femmes noires qui écrivent et qui lisent, qui glissent elles aussi leurs vies entre les pages, qui prennent la parole, qui marchent d’un pas solide vers de nouvelles représentations, vers une visibilité sans détours, vers un discours sans filtre rétablissant une part de vérité des souffrances accumulées et des richesses vécues et créees par ces femmes au coeurs immenses. Dans ce texte plein d’optimisme, l’auteure nous livre un aperçu de son monde, et déjà se fait sentir dans le coeur des lecteurs une impatience surdorée de douceur.
Son livre est disponible dans plusieurs librairies de Montréal dont : l’Euguélionne, Racines, Drawn and Quarterly et la boutique Espace Urbain.
Vous pouvez trouver Josiane sur Instagram ICI, et sur Facebook, juste-là.
*Tous les crédits des poèmes présentés appartiennent à Josiane Ménard.*
Une réponse sur « États d’âme par Josiane Ménard : un premier recueil à l’ampleur de la plume. »
A reblogué ceci sur HDP Media.
J’aimeJ’aime